Aventures en famille

Côte ouest

Écrit par Famille Carrard | 25/04/2013 – 07:11

Jimi le muezzin

Avant de prendre congé du pays Minangkabau, mentionnons une spécificité locale – comment ne pas la remarquer ? – nous avons nommé le muezzin et l’imam zélés et insupportables. Le phénomène a pu être observé systématiquement de Bukittinggi à Pariaman, très peu ailleurs à Sumatra et assurément pas dans les autres régions musulmanes traversées au cours de ce voyage ou d’autres…

Ça a commencé à Bukittinggi : au petit matin, les muezzins des deux principales mosquées du centre-ville redoublaient de volume sonore et d’amplis saturés, au détriment de la qualité du chant, habituellement harmonieux et très beau à écouter. Ensuite, l’imam jouait des mêmes hauts parleurs pour faire profiter toute la ville de ses prières, mais surtout de ses « sermons » peu rassurants, sur un ton particulièrement criard et agressif. Entre 5h00 et 6h30 du matin, tous les jours ; souvent également plusieurs fois au cours de la journée (sauf que là on s’en fiche). Pauvres fidèles… Nous sommes en pays musulman et devons accepter les coutumes locales, soit, mais là c’était le pompon !

La variante campagnarde maintenant. Dans des bleds en plein Sumatra, on trouve des muezzins surdoués qui, rien qu’à la voix (mais à grand renfort d’ampli pourri et de larsen), réussissent à reproduire le son de Jimi Hendrix massacrant – sur sa Fender Stratocaster à Woodstock – l’hymne américain « The Star Spangled Banner » en imitant les B-52 sur le Vietnam : un vrai coup de maître !

Depuis Padang, retour à la normale, l’appel à la prière du matin, tout comme les quatre autres qui rythment la journée sont harmonieux, bien chantés et durent quelques minutes. Un petit côté exotique sympa et un appel au réveil plus en douceur pour démarrer tôt la journée.

Moussons-nous jusqu’à Bengkulu !

Les 44 épingles à cheveux

Comme déjà dit, chassés par l’imam, départ de Bukittinggi le 5 avril. Selon nos plans légèrement idéalisés, 36 km, comprenant la montée jusqu’au bord du cratère, puis la redescente sur le lac de Maninjau. Le beau temps menace ce matin, ça s’annonce donc plutôt comme une petite journée tranquille… Plans un peu trop optimistes, puisque les 250 m de dénivelé à la montée (BKT 950 m, sommet du cratère env. 1200 m) devront être faits plusieurs fois, la faute à quelques vallées prises en enfilade. Ne nous plaignons pas, maintenant que c’est derrière, nous en garderons un bon souvenir : rizières, buffles, jolies vallées et villages accrochés à leurs flancs.

Enfin les fameuses 44 courbes, pour 800 mètres de descente sur une dizaine de kilomètres, aussi régulières que dangereuses. La vue plongeante sur le lac Maninjau est splendide. La noirceur du ciel d’orage fait ressortir le vert éclatant des rizières.

Un dernier contrôle des freins et nous nous lançons. A chaque virage à gauche, l’équipe tandem au braquage limité a un coup de stress. Impossible de tenir sa gauche dans ces courbes si serrées et si raides. Il faut donc prendre au large en espérant ne pas avoir de mauvaise surprise en plein tournant. Pendant ce temps, Frédo vit un drôle de face à face avec un macaque fâché (contre qui ?) lorsqu’il bâche la remorque aux premières gouttes…

Car l’averse tropicale nous a forcément cueillis avant la fin de la descente. Laure, alors en croûte de sel, rencontre une nouvelle difficulté : la pluie en pleine figure va provoquer une irritation subite de ses yeux. Impossible de les garder ouverts. La caravane est forcée de s’arrêter, le téléguidage par Frédo n’étant pas au programme. Pourtant à l’avant, Léon ne bronche pas de se faire pareillement rincer. Quant à Eugénie à l’abri dans la remorque, elle en profite pour piquer un petit roupillon !

Contents d’arriver en bas, nous nous abritons dans un café et reprenons nos esprits à grand renfort de pancakes au chocolat. Au bout du 20ème « Is this love » en boucle sur l’iphone du fiston, nous demandons à la patronne si elle possède de la musique minangkabau. Toute heureuse de l’aubaine et pour notre plus grand bonheur, elle saisit sa guitare et nous gratifie d’un admirable concert privé. Génial !

Le cœur réchauffé, mais la culotte toujours autant mouillée, nous quittons le café à la recherche d’un toit à dodo, à nouveau sous la pluie. Deux cents mètres plus loin, le Beach Guesthouse, les pieds dans l’eau tiède, fera l’affaire.

Leçon de pédalo

Si l’environnement du lac Maninjau est magnifique, en revanche, après une nuit de sommeil profond – il y a paraît-il eu un tremblement de terre de 5.2 sur l’échelle de Richter vers minuit, mais rien remarqué – nous nous rendons compte au matin qu’il est illusoire d’attendre l’arrivée du soleil. Départ donc sous des trombes d’eau en direction de la mer et de Padang. Qui sait, le littoral sur l’Océan Indien sera peut-être plus épargné par le mauvais temps que les régions montagneuses à l’intérieur des terres ? Dans nos rêves ! Les deux grosses étapes menant à Padang se feront sous la flotte, entre accalmies, petites bruines et grosses tempêtes tropicales. Ici la mousson dure jusqu’en avril compris, qu’on se le dise !

Néanmoins, les paysages traversés par la route menant de Maninjau à l’océan valent le coup d’œil. Le long de la mer, la petite route tranquille est en partie inondée et on ne sait jamais ce que cache la grande mare à franchir. Humainement, les conducteurs sont toujours aussi mauvais et les gens aussi gentils et souriants que lassants : on doit être à 4500 « Hello Misterrrr, what you nèm’ » par jour (c’est sympa, mais ça fatigue un peu les oreilles et les nerfs).

La végétation et la vie ont repris leurs droits depuis le cataclysme qui a ravagé la région le 26 décembre 2004, mais on voit fleurir le long de la route des panneaux indiquant les voies d’évacuation en cas de tsunami. Une nouvelle étape de vélo, cette fois-ci dans un trafic « à l’indonésienne », nous mène à Padang, la plus grande ville de la côte occidentale de Sumatra.

Padang

Pas grand chose de passionnant à faire dans cette ville qui porte encore les séquelles d’un important séisme en 2009. Beaucoup de constructions nouvelles côtoient de vieilles bâtisses ruinées et nous-mêmes logeons dans la partie encore debout d’une maison ancienne qui a été un peu « raccourcie » lors du séisme précité. A la première adresse visitée – « our pick » du Lonely Planet, version 2009 – nous n’avons d’ailleurs trouvé qu’un terrain vague dont le bâtiment ruiné a été arasé au niveau des fondations et les déblais évacués ; cas école pour l’interprétation archéologique…

Le rivage est occupé par une plage-décharge interminable. Là par contre, le tsunami pourrait être passé la semaine dernière. Près du centre-ville, ce sont des alignées d’échoppes à poisson grillé assez cradingues et vides qui à la nuit tombante, mal éclairées et avec la sortie des mendiants et zoneurs en tous genres, ont tout du coupe-gorge. A mesure que l’on remonte la plage vers le nord, terrains de sport, place de jeu sans ombre et quelques barques de pêcheurs tentent de faire illusion au milieu des immondices. De l’autre côté de la route côtière, des grands hôtels tout neufs tournent le dos à la mer et aux bidonvilles qui leur font du pied.

Pour contrebalancer cette image assez peu reluisante, de la plage, on admire les magnifiques couchers de soleil sur l’Océan Indien, en particulier en cette période de fin de mousson lorsque les gros cumulonimbus guignant à l’horizon semblent littéralement s’embraser. Mais en définitive, Padang n’est pas le lieu où nous viendrons passer nos prochaines vacances balnéaires.

Bengkulu

Nous effectuerons en bus de nuit la route pour Bengkulu, théoriquement 570 km de route côtière. En fait, nous allons prendre l’itinéraire montagneux pour 840 km et 16 heures de trajet ; option pittoresque slalomant entre hauts plateaux et vallées. En fin d’après-midi, la première partie du trajet dans la vallée de Solok offre des coups d’œil grandioses sur les rizières et les volcans éteints environnants, recouverts par la forêt tropicale. Dans les villages, une part importante des maisons est en bois sculpté et peint dans la tradition minangkabau. Nous quittons ensuite les volcans pour les pics karstiques. Le reste se fera de nuit, entassés, avec Léon et Eugénie qui commencent à se faire à l’inconfort des trajets en bus.

Arrivés à Bengkulu aux aurores le 9 avril, deux journées seront nécessaires à reprendre nos esprits, nous remettre des courbatures, constater que le centre-ville est beaucoup moins joli que les kampungs-bidonvilles périphériques et surtout poster un paquet de souvenirs transbahutés depuis Toba.

Encore un effort !

Nous tentons ensuite la route côtière en direction de Bandar Lampung. Une bonne dizaine de jours de vélo à faire, alors que déjà la moitié de notre temps de visa indonésien est écoulée ; et l’extrémité sud-est de Sumatra semble être le bout du monde. Tant pis, on y va !

Chauffe Marcel

Près de la mer, les régions les plus plates entre Tais et Kota Manna sont envahies par les palmeraies, mais après Bintuhan, les reliefs sont particulièrement escarpés : la jungle y est encore quasi inviolée et a encore de beaux jours devant elle.

Autant les villes-étapes sont bétonnées et moches, autant les villages de paysans de l’intérieur des terres et de pêcheurs sur la côte sont typiques et souvent pittoresques, avec leurs maisons aux parois de bambou ou de torchis peint de couleurs pastel. Dans les rizières, les petites dames pataugent dans la boue à repiquer du riz ; c’est un festival de chapeaux pointus colorés, vissés des bouilles au sourire inamovible.

Nous tiendrons trois jours à vélo sur la partie du trajet théoriquement la plus plate des 600 km qui nous séparent de notre objectif, avant que la chaleur et les montagnes russes qui rythment ces paysages ne nous ramènent à la raison.

Cette très belle région côtière, où les rizières et la jungle proche se font de l’œil, vaut vraiment le détour… mais pas à vélo avec des enfants.

La goutte qui fait déborder le vase : des ados prêts à l’attaque en hurlant et visant le tandem au ballon de foot ! Pour une fois, le pétage de plomb de Laure gentiment épuisée  sera salutaire. De Bintuhan, après une petite parenthèse plage, nous décidons donc de reprendre le bus.

Crouille bahut

Nous croyions avoir tout vu en matière de transports pourris, c’était avant de connaître la compagnie Krui Putra. Notre bus est arrivé avec 1h20 de retard pour cause de pneu crevé.

A ce stade, en voyant l’état des pneus en question, on se demande vraiment si ça vaut encore la peine d’en mettre sur les roues. 1h30 de plus seront consacrées à la réparation de la roue de secours : en fait, comme la chambre à air était complètement déchirée, il a fallu attendre qu’un bus de la même compagnie fournisse une autre chambre à air percée de secours, elle réparable… Mais ce n’était que le début ! Au cours du trajet, le moteur a serré au moins cinq fois, avec calages en pleine montée dans des pentes démentes à 20%, bloquant toute la circulation. Nous avons également dû changer de batterie, faute de pouvoir allumer le moteur après un des nombreux calages… Lorsqu’il fallait embarquer des passagers en route, Frédo a dû se muer en aide-chauffeur et s’occuper du bloquage/débloquage de la porte arrière par un loquet improvisé, puisque les deux préposés à cette tâche se roupillaient parmi sur la banquette…

Finalement, nous arriverons à Bandar Lampung, avec seulement trois heures de retard, grâce aux talents de notre chauffeur : il faut savoir qu’en Indonésie, chaque conducteur de bus est un Ayrton Senna en puissance (vie et mort ?). Le sommet, c’est la gare de la compagnie Krui Putra : un bourbier indescriptible, d’où émergent les immondices les plus diverses et dans le désordre le plus total les carcasses de toute une série de véhicules semblables au nôtre, accidentés ou en phase de démontage-récupération. Nous déchargeons notre attirail avec la désagréable surprise de récupérer une sacoche à habits imbibée de mazout et attendons que notre carrosse poursuive sa route jusqu’à Jakarta (inch’Allah !) pour sortir nos kits petit déj’ de céréales au chocolat et commander thés et cafés, avant de remonter sur nos vélos, eux aussi encore entiers…

Kalianda

Comme tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts (déjà dit précédemment, mais ça se confirme), nous ne nous arrêtons pas à Bandar Lampung. Au taquet après notre nuit de bus, nous reprenons des forces à coups de cafés et de donuts dans la succursale locale d’une grande chaîne capitaliste de cochonneries occidentales. Puis nous embrayons pour Kalianda, petite ville autoproclamée station balnéaire imaginaire au bord de la mer. Rien à y faire, pas de village pittoresque, la plage, c’est pas ça non plus.

Nous goûtons peu le fait d’être dévisagés à chaque coin de rue et pris pour des bêtes de foire. Pour clore en beauté, pour la première fois depuis Jishou, en Chine, nous avons le sentiment de ne pas être à notre place ici ; outre les éternels « bule » (= blanc) appuyés et sur un ton peu amène, nous reconnaissons pour la première fois un témoignage haineux de la part d’enfants : un gosse qui complètement gratuitement vous fixe du haut de sa moto et de ses 7-8 ans dans le blanc des yeux vous gratifie d’un doigt d’honneur et d’un « f*** you ! », forcément, ça fait mal. Le fait reste isolé et nous avons en règle générale un contact très sympa avec les locaux, même si nous les trouvons souvent trop insistants et intrusifs…

Par contre, chouette et sympathique hôtel dans une maison « bourgeoise musulmane post-coloniale » tenu par une famille accueillante. Allez, on fait une petite pause avant de franchir le détroit à 30 km. Cure de martabak-kacang-susu (sortes de crêpes épaisses avec une sauce sucre-lait condensé-cacahuètes concassées, excellent mais pas léger-léger…), burgers-frites et rattrapage vitamines après l’achat de kilos de fruits au marché. A part les sorties pour les repas, la moiteur nous dissuade de quitter notre pied-à-terre. Léon et Eugénie, qui ont trouvé leurs marques plus rapidement que les parents, jouent avec les enfants de la maison, s’installent à peu près partout (surtout au chemin !) pour créer de nouvelles oeuvres sur papier ou en lego et visitent la crèche attenante. Eugénie participera même à un cours de dessins au milieu de petits écoliers en uniforme bleu.

Profitant de la fraîcheur du soir, nous nous offrons une petite excursion pour voir la mer et le port. Au retour, nous nous arrêtons dans l’entrepôt où le cacao de la région est amené et reconditionné. Petits et très petits producteurs se côtoient et nous croisons un monsieur qui apporte sa récolte sur sa moto : l’équivalent d’un demi cornet migros de fèves séchées, prêtes à être envoyées à la chocolaterie de Jakarta pour être torréfiées et moulues.

Sumatra saturam(us)

Mais nous voulons quitter Sumatra et changer d’atmosphère. Derniers épisodes désagréables : le type qui tente de nous racketter pour récupérer notre compteur tombé par terre à une pause et, 3 km plus loin, le camion qui fait un dépassement insensé et nous oblige à sortir de la route pour éviter l’accident. Nous avalons rapidement les 30 derniers km qui nous mènent au bout de l’île avec Java en ligne de mire.

C’est à la fois avec une foule de belles images en tête et un certain ras-le-bol que nous embarquons sur le ferry pour Merak le 18 avril, en chantant « La Javanaise ».

A bientôt dans « La traversée express de Java » par Bruno le crapaud !


1 commentaire »

  1. De irene.stadlin le 25 Avr 2013 | Répondre

    Ben, ce bout de voyage ne fait vraiment pas envie… Mais vous êtes tjs vivants, c’est le plus important. On sent un peu une certaine lassitude grosse fatigue. Peut-être serez-vous finalement tout contents de retrouver une vie moins trépidante? J espère que le final en Australie sera réparateur. Gros becs aux 4. Gd-maman se réjouit de la piscine avec les petits. La cabine est réservée…

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