La traversée du Cambodge (suite et fin)
Écrit par Famille Carrard | 27/12/2012 07:05On retrouve les grands-parents à Siem Reap
Ce 2 décembre, nous sommes arrivés à Siem Reap de Kompong Cham en bus : 300 km, presque sans donner un coup de pédale. Il s’agissait de ne pas manquer le rendez-vous avec les grands-parents d’Aubonne. Pour un temps donc, parenthèse plus touristique et changement de style de voyage, habituellement hors des sentiers battus.
Ces quelques jours nous ont fait un bien fou : manière de décompresser un peu par une pause prolongée et surtout, la présence des grands-parents nous a permis de recharger les batteries. Les enfants avaient vraiment besoin de se raccrocher et de parler à des personnes connues et aimées autres que Papa et Maman avec qui ils sont 24 heures sur 24. Inversement, pour les parents, pouvoir souffler un peu et se décharger sur les grands-parents frais et dispos était indispensable après cinq mois de voyage.
Pour cette pause angkorienne, nous avions réservé un petit hôtel de qualité supérieure à notre standard habituel et la piscine a fait le bonheur des uns et des autres.
Enfin, ne renions pas nos origines, les grands-parents avaient apporté dans leur besace de quoi nous rappeler que notre organisme n’est pas fait que pour recevoir du riz, des nouilles sautées et des sauces de poisson ; c’est donc avec délectation que nous avons savouré un bon chasselas bien de chez nous, du lard séché du Valais et un bon morceau d’Etivaz (meilleur que le gruyère !).
Siem Reap
A Siem Reap même, comme dans la plupart des endroits touristiques visités (hors Chine), l’ambiance est très occidentale :
boutiques et hôtels de luxe, restaurants chics, glaciers, mais aussi bars, pubs et fast-food ont pignon sur rue. Le marché est très atypique pour l’Asie : tout est ordré, les couloirs balayés, les épices sont pré-emballées dans des petits sachets dûment étiquetés ; pas d’odeurs nauséabondes ni d’animaux bizarres du côté boucherie. A part les têtes de cochon, du jamais vu en cinq mois de voyage !
A première vue, inutile d’aller visiter Siem Reap pour le dépaysement total. En ville même, quelques centres d’intérêt tout de même, comme les ateliers de céramistes et les chantiers écoles, où des personnes handicapées ou des jeunes issus de milieux défavorisés encadrées par des artisans spécialisés produisent des objets d’art (sculpture, argenterie, peinture) et textiles (soie) haut de gamme.
Dès que l’on sort du centre-ville, on retrouve les petits bistrots à riz sauté bon marché et chaises en plastique. Les tuk-tuk, les trous dans les trottoirs, les routes en terre où se baladent les rats, les odeurs d’égouts et les barbiers de rue nous rappellent que Siem Reap, c’est bien au Cambodge, ouf !
Mais Siem Reap, c’est surtout le point de départ pour visiter l’immense complexe culturel et religieux de l’époque faste du royaume Khmer.
Angkor
Du IXe au XIIe siècle de notre ère, les souverains successifs ont rivalisé d’audace et de démesure pour faire bâtir ces gigantesques ensembles de temples, chacun se devant de réaliser plus fastueux et plus grand que son prédécesseur. Toute la région regorge d’une multitude de merveilles architecturales et sculpturales. Notre première virée – en tuk-tuk comme il se doit – nous a donc mené à Banteay Srey, dont les bas-reliefs d’inspiration hindouiste sont réputés être les plus raffinées de l’art khmer.
Au retour, quelques arrêts sur des sites « secondaires » (comprenez : moins visités), nous ont permis de mieux apprécier l’atmosphère particulière de ces temples loin de la foule.
Une grosse journée de vélo nous a ensuite été nécessaire pour faire le tour des principaux ensembles : Angkor Wat, Angkor Thom et Ta Prohm.
Ta Prohm
Si les deux premiers sont complètement dégagés et aménagés et ont subi d’importants travaux de restauration (encore en cours d’ailleurs, chaque temple est en chantier permanent), celui de Ta Prohm est encore emmêlé dans la végétation tropicale et a gardé l’atmosphère un peu surréaliste (certains diront « romantique ») que décrit Malraux dans « La voie royale » – à l’exception près des milliers de touristes qui vont en escalader les ruines au quotidien…
La journée n’aurait pas été complète sans une vision aérienne en ballon, qui nous a permis de réellement prendre conscience de l’immensité du site… Merci Grand-Maman !
L’archéologue de service aurait pu passer encore deux ou trois mois à explorer Angkor, mais le reste de la famille ayant visiblement eu sa dose d’archéologie pour un moment, il a été décidé que le troisième jour, nous nous contenterions d’aller en fin de journée voir le coucher du soleil sur Angkor Wat.
Pour que Léon et Eugénie puissent profiter pleinement de leurs grands-parents (et les parents d’un moment à eux…), ils ont fait une petite excursion au lac Tonle Sap pour voir les villages de pêcheurs et une ferme aux crocodiles (qui n’a jamais goûté la bavette de crocodilon élevé sous la mère…).
De Siem Reap à Pailin, rizières et champs de mines
Si les petites vacances angkoriennes ont été un régal, en abuser n’est bon ni pour le foie, ni pour le fragile équilibre du métabolisme des sportifs… Il nous a fallu nous résoudre à dire au-revoir aux grands-parents – pour quelques jours seulement, puisque nous les reverrons à Bangkok – et à enfourcher à nouveau nos fidèles destriers pendant que nous y arrivions encore.
Nous avons fait fort en commençant par établir un nouveau record kilométrique de 110 km pour nous rendre à Sisophon. Il faut dire que nous n’avions pas d’autre choix, faute de possibilité de logement: peu de villages et ni hôtel, ni relais de camionneurs visibles sur la route ; et entre rizières et marécages, peu de possibilités de planter la tente.
L’étape suivante, un peu plus courte et variée nous a mené jusqu’à Battambang. Comme il fait très chaud, le trajet est émaillé d’innombrables pauses…
Battambang est une sympathique capitale provinciale où nous avons séjourné deux jours. Le centre ville est encore truffé de rues aux bâtiments de style colonial.
Un peu excentré, l’Institut Français constitue un havre de paix dont la bibliothèque est une mine d’or pour les enfants. Nous avons également assisté à un spectacle de cirque de haut vol au Phare Ponleu Selpak. Quel plaisir lorsque l’on s’arrête dans des villes qui offrent plusieurs activités très prisées par nos deux petits aventuriers !
Comme nous avions rendez-vous le 20 décembre à Bangkok, il s’agissait néanmoins de ne pas trop traîner. Nous avons donc repris la route sous le soleil pour rejoindre Pailin, dans les Monts Cardamomes, dernière ville étape avant de traverser sur la Thaïlande. Et comme souvent en chemin, nous avons le loisir d’observer des cérémonies dont la signification et le lieu nous échappent parfois…
Pailin est surtout connue pour avoir été le lieu du « gouvernement provisoire » des Khmers Rouges jusqu’à leur défaite en 1998. En dépit de cette importance historique, la ville offre un attrait touristique limité ; les guides touristiques énumèrent d’ailleurs – non sans un certain cynisme – deux bonnes raisons d’y séjourner : la première, c’est comme pied à terre pour traverser la frontière, la seconde c’est d’aller rendre visite à des amis, si l’on est un ancien khmer rouge…
La frontière est proche
Pour boucler la boucle cambodgienne, nous revivrons une traversée de no mans’s land similaire à celle franchie quelques jours plus tôt à l’autre bout du pays. L’ancienne ligne de démarcation entre les khmers rouges et l’armée gouvernementale jusqu’à la fin des années 1990 a été minée de part et d’autre pour se prémunir des offensives du camp opposé.
Aujourd’hui, les opérations de déminage sont en cours et visiblement plus avancées que dans la région de Stung Treng et Kratie. C’est avec un certain soulagement que nous découvrons des villages en plein renouveau derrière des pancartes indiquant que la parcelle – ancien champ de mine – a été nettoyée quelques mois auparavant.
Nous rencontrons aussi ces héros des temps modernes qui risquent leur vie pour sauver celles des autres au quotidien. Point de GI bardés et casqués pour accomplir ces tâches périlleuses, mais de petites gens du crû, toujours souriants sous leur chapeau et dans leurs bottes de caoutchouc…
C’est sur cette image que nous quittons ce pays incroyable et ce peuple qui semble traverser les pires épreuves de l’Histoire en souriant… une belle leçon d’humanité !
Après Pailin, les derniers coups de pédale nous mènent à travers les collines à la frontière thaïlandaise. A la frontière, Psar Pruhm est à nouveau une de ces villes de chercheurs d’or poussée en pleine cambrousse, mais là, les voisins thaïs viennent chercher fortune au casino…
Quatre tampons vite expédiés, puis d’amicaux signes de la main des douaniers pour prendre congé, sourire jusqu’aux oreilles, comme il se doit. Du côté Thaï, ce sera plus long et plus formel. Pour nous, un peu de frustration d’arriver déjà à la fin de notre séjour cambodgien après seulement trois petites semaines. Nous avons l’impression d’avoir traversé en coup de vent un pays où il fait bon ne compter ni les jours, ni les heures, mais contempler la vie qui s’écoule doucement…
Mauvaises mines enfouies, mais bonnes mines souriantes
Écrit par Famille Carrard | 07/12/2012 17:46
Nous sommes entrés sans encombre au Cambodge le 25 novembre. Première impression, après 500 km de vallée du Mékong côté laotien, on est repartis pour de la plaine légèrement (mais bien assez) vallonnée en plein soleil, avec toujours la même route qui évite le fleuve. Pas de changement majeur direz-vous ? A y regarder de plus près, nous nous trouvons pendant près de 50 km (presque jusqu’à Stung Treng) dans une sorte de no man’s land.
Le long de la route, la forêt tropicale a été défrichée, puis les terrains se sont recouverts de broussailles. Quelques misérables bicoques, de temps en temps un semblant de hameau, mais les environs donnent l’impression d’être laissés à l’abandon. Impression confirmée sur une bonne partie du trajet entre Stung Treng et Kratie. De grandes étendues de terrains plats appropriés à la culture du riz sont en friche. Pas un paysan et, surtout, ni vache ni buffle. Nous nous doutions un peu des raisons, mais cette fois l’explication est là, sans appel : tous les 100 mètres le long de la route sont placardés des panneaux rouges à tête de mort « Danger !! Mines !! ».
Même si les régions minées n’ont évidemment pas la densité de population des régions que l’on qualifiera de sûres, on a l’impression que les gens se sont faits à l’idée (ou alors sont complètement inconscients), les générations passant. Pour nous, pas de prise de risques inutile : les petits pipis se font sur la route et pour l’instant, hors de question de faire du camping. Entre parenthèses, nous trouvons la seule auberge sur 140 km de route, où nous dormons sur des lits durs à paillasses pour 2$, notre nuitée la meilleure marché (hors camping et nuitée chez l’habitant) depuis le début du voyage. Un peu spartiate, mais il y a des vraies moustiquaires, ce qui n’est de loin pas toujours le cas dans des hôtels de plus haut standing (à notre échelle, s’entend) !
Pour revenir aux mines, il n’est pas rare de voir la fameuse pancarte rouge sur l’arbre ou la vieille clôture devant une maison dans la cour de laquelle jouent des enfants ; plus inquiétant, hors de l’enceinte de la maison dans le terrain vague derrière une autre pancarte, des tout petits escaladent des monticules de terre. Inversement, on voit également des maisons juste (pas ?) terminées, vides, avec deux pancartes toutes neuves placardées devant l’entrée… seront-elles jamais habitées ?
Dans tous les cas, ce qui contraste avec le sordide de cet environnement, c’est le sourire contagieux et la gentillesse des gens. Les « Hello » fusent de tous les coins d’ombre, arbres, fenêtres de cabanes avant même que nous y devinions la présence d’enfants ; étonnamment, ils ne nous saluent jamais dans leur langue, au point que nous ne savons toujours pas si nous prononçons « Suo sadai » correctement…
En approchant de Kratie, la campagne s’égaie. Cette fois ce sont de vrais villages qui s’étirent, reliés entre eux le long de la seule route aménagée de la région. Derrière l’alignement de maisons en bois sur pilotis aux jolies toitures, des rizières à perte de vue. Quelques buffles, mais surtout de très grands bœufs blancs à l’air hautain traversent nonchalamment la route pour aller prendre leur bain dans la mare aux lotus la plus proche. Pour nous rafraîchir, rien de tel qu’un arrêt où déguster ananas ou lait de coco, créant presque à chaque fois un attroupement d’enfants et de mamies hilares.
C’est une véritable averse tropicale qui nous accueille peu avant Kratie. Si le rafraîchissement est bienvenu, en revanche, nous ajoutons une bonne couche de boue sur les strates successives de poussière accumulées.
Nous arrivons en ville juste après la pluie, au moment où les vieux bâtiments coloniaux bordant le Mékong revêtent leur parure d’or au soleil couchant. Kratie est une petite capitale provinciale, reliée depuis quelques années au reste du monde – et donc aux circuits touristiques – par des bonnes routes. On vient y voir les quelques dauphins Irrawady (comme à Siphandon au Laos) qui subsistent ou quelques vieux temples bouddhistes. Le centre-ville au fond colonial a une coloration toute asiatique : les bâtiments anciens blancs et jaunes ornés de moulures ont été noyés dans un magma de panneaux publicitaires et d’échoppes où l’on vend tout et n’importe quoi.
A Kratie, comme dans la plupart des villes de l’ancienne Indochine française, deux types de professions sont en vogue : la première, c’est de glander toute la journée sur sa moto, la seconde – plus méritoire – c’est de faire tous les métiers ; ainsi, le tenancier de guesthouse est aussi agent de voyage, bureau de change, marchand de meubles, kiosque à bonbons et pharmacien. Nous nous reposons une journée dans cette petite ville sympa en tentant de satisfaire notre gourmandise dans des bistrots compatibles avec notre budget.
Nous quittons Kratie par le sud en prenant la petite route qui longe le Mékong, via Chlong et Roka Khnaor. Région magnifique, avec une campagne à l’image de celle traversée lors de notre arrivée à Kratie : beaucoup plus riante qu’au nord vers Stung Treng. A nouveau, les villages s’enchaînent et la route parfois les traverse, parfois fait un petit détour entre les rizières et d’innombrables lacs. Fraîchement goudronnée les 60 premiers km, elle nous permet d’avancer malgré un soleil de plomb.
Une nouveauté en arrivant dans la province de Kampong Cham : dans les villages, les majestueux et kitchs temples bouddhistes sont maintenant remplacés par (ou côtoient) d’innombrables petites mosquées.
Cette région est habitée par l’ethnie Cham, musulmane sunnite, sans doute l’un des groupes humains les plus malmenés de leur histoire, en dernier lieu par les Khmers Rouges. Visages souriants, femmes voilées aux couleurs bigarrées, parfois une vieille femme au tchador noir et toujours les mêmes enfants aux bouilles sales et aux mines réjouies.
A mesure que l’on s’enfonce dans ces campagnes et que le goudron et le plat se raréfient sur la route, les véhicules motorisés sont remplacés par des attelages à cheval, à bœufs ou à buffles conduits par des hommes fièrement enturbannés de leur krama.
Comme les mines ne semblent pas poser problème dans ce secteur (nous avons tout de même croisé un jeune homme clopinant sur sa prothèse), nous campons dans un village sur un pré servant de terrain de volleyball. Nous devons faire le montage de la tente, la douche, les toilettes et le repas sous le regard de tout le village. Si susciter la curiosité et y faire face avec le sourire font partie des aspects positifs et enrichissants de notre voyage, là on sature : au moins vingt gamins sont collés à nous, quasi les pieds dans nos assiettes, pendant que nous tentons de faire un petit repas bricolé (on n’a même pas tenté de sortir le réchaud ce coup-ci…). En voyage, nous avons parfois l’impression – et un peu mauvaise conscience – de faire un safari en photographiant les gens, mais cette fois, c’est vraiment nous les singes !
Le lendemain, démontage rapide, juste avant que tout le voisinage ne rapplique : nous ferons notre petit-déj’ à la soupe de nouilles et bouilli sur une petite terrasse un peu plus loin… A mesure que la journée avance, on s’enfonce de plus en plus dans les tréfonds de la campagne. Quelques images étonnantes, comme ces bateaux de pêche perdus au milieu des champs, qui attendant la prochaine saison des pluies et les crues du Mékong pour rejoindre le fleuve.
Toujours les mêmes maisons, mosquées, temples, et bonnes bouilles des Khmers et des Chams. Par contre, la route n’est plus goudronnée et de graviers damés, elle passe à ornières boueuses, quand la route n’est pas remplacée purement et simplement par une mare. Une dizaine de kilomètres avant Kampong Cham, c’est le pompon. Gracieusement aiguillés par un local, nous faisons 1 km à travers champs, puis sur la bordure du talus bordant le Mékong pour éviter la gadoue. Pour rejoindre la route, il faut traverser les jardins des maisons du voisinage. Nous sommes en pleine saison sèche ; en période de mousson, ce doit être apocalyptique !
La douche, quel bonheur ! A Kampong Cham, nous dormons dans un guesthouse-pharmacie très sympa avec une immense terrasse que nous investirons longuement le lendemain pour nous reposer, jouer et surtout profiter de l’ombre.
D’ici, nous avons une vue plongeante sur le marché couvert de tôle. Peu reluisant au premier abord, une fois lancés, c’est une vraie mine aux trésors. D’ailleurs, Frédo en est ressorti heureux avec son krama rouge et blanc qu’il essaiera de nouer de mille manières de retour au guesthouse !
Le 2 décembre, nous prenons le bus car nous avons un rendez-vous d’importance à Siem Reap : nous y retrouverons les grands-parents d’Aubonne venus exprès pour nous voir et – accessoirement – pour visiter les merveilles d’Angkor !
Nous sommes entrés dans la période de l’Avent. C’est étrange, ici rien ne laisse présager que nous approchons de Noël. Nous vivons un peu hors du temps, pourtant celui-ci file à toute allure car il y a déjà cinq mois que nous arpentons les routes d’Extrême-Orient, allant de découvertes en découvertes. Bien que les mollets se soient transformés en béton, que toute la famille aie trouvé le rythme, les défis sont presque quotidiens et c’est sans doute ce qui pimente autant notre voyage !
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