En nage et rage, restons sage…
Écrit par Famille Carrard | 10/04/2013 17:47Nous étions prévenus. Après la parenthèse des petites vacances à Toba, nous serions lâchés dans la Sumatra sauvage et ce serait une autre paire de manches. Départ donc le 20 mars avec des images plein la tête et un petit peu d’appréhension tout de même.
Afin de vous faire partager notre intense quotidien, en voici le résumé jour après jour :
Jour 1
Départ en douceur du Lac Toba, en longeant la côte nord et ouest de la presqu’île de Samosir, entre jolis villages et rizières. Nous aurions pu en rester là et loger à l’hôtel des sources d’eau chaude près de l’isthme de Pangururan, avant la grosse montée de Tele, mille mètres plus haut sur le rebord du cratère. Sous l’impulsion de Laure qui préfère liquider la montée tout de suite pour que ce soit derrière, nous attaquons l’ascension.
A mi-montée, nous arrêtons une camionnette pour nous hisser jusqu’au plateau supérieur. Incompréhension sur le prix, Tele-chargement à la hâte en deux fois, la caravane s’étant un peu « distendue » en route : résultat des courses, un compteur perdu lors de l’embarquement, coût de la course dix fois plus cher que prévu et pour couronner le tout, notre destination est un petit bled glauque, sans logement. Nous essayons la police, mais serions condamnés à passer la nuit dans un bureau guère plus grand que notre tente avec le flic de garde (antipathique au possible) réveillé et la lumière allumée. En terre chrétienne, nous voulons tenter l’église, mais personne n’est capable de nous indiquer où habite le pasteur du coin. Nous finissons donc dans un local désaffecté et aveugle à l’arrière d’un restaurant pour camionneurs glauquissime tenu par une patronne aussi sympathique qu’un bouledogue. Au moins, ce n’est pas cher…
Jour 2
Lever tôt, on veut déserter au plus vite le resto de la bouledogue. Quelle joie d’attaquer la journée au frais sur les hauts plateaux (1800-1900 m). Décor inattendu sous ces latitudes : petites maisons aux toits de tôle peu pentus, clochers pointus, petits jardins où on fait pousser des patates, friches, pâturages et forêts de conifères (en l’occurrence des pins sylvestres, de près) sur des reliefs assez doux. Un peu plus bas, une large vallée plate est entièrement occupée par une tourbière exploitée par des personnes âgées et des enfants.
Pour la suite, nous redescendons et traversons des vallées aux flancs escarpés couverts de jungle, puis, à mesure que nous redescendons, rizières, plantations de café et humidité sont de la partie. Et comme c’est la mousson, nous héritons de quelques très belles averses en début de soirée. Arrivée soulagés à Tarutung, où nous fêtons symboliquement (c’est approximatif, comme nous n’avons plus de compteur) les 9000 kilomètres devant une borne, sous la pluie avec des cacahuètes…
Jour 3
Jour de repos à Tarutung, où notre principale préoccupation sera de changer d’hôtel, puisque en arrivant de nuit et sous la pluie hier soir, nous avons pris en hâte le plus mauvais rapport qualité-prix de la ville. Journée lessive et trombes d’eau cinq minutes chrono après avoir fini d’étendre : pour le séchage, on a trouvé mieux.
Jour 4
L’étape de la mort dans toute sa splendeur : entre minibus et camions, les soixante premiers kilomètres s’effectuent à la dure sur un relief en dents de scie qui nous coupe littéralement les jambes et sur des routes où les parties goudronnées s’apparentent davantage à des rustines qu’à un revêtement.
Pour égayer l’étape, le cadre campagnard est en revanche très joli : quelques beaux villages aux maisons de bois où églises et mosquées se font de l’œil. D’innombrables petites rizières en terrasse s’accrochent aux flancs des vallées. Une nouveauté : le long des routes s’égrènent caféiers et cacaoyers dans les jardins et en bordure de champs, témoignage de micro-productions. Certaines familles ont moins de 10 arbres à exploiter. Quant à nous, notre avance est freinée à plusieurs reprises par de violentes averses tropicales qui nous obligent à nous abriter sous un porche de mosquée, dans un café ou devant un magasin de cartes sim.
Faute d’hôtel à l’horizon et les locaux étant apparemment peu enclins à loger des étrangers sous leur toit (nous qui avions foi en l’hospitalité musulmane…), nous attaquons un ultime mur en espérant rejoindre Sipirok, 700 mètres plus haut alors que l’après-midi est déjà bien avancé. Quelques coups d’accélérateur seront nécessaires dans certains villages, malgré la pente, pour échapper à des gamins surexcités qui se jettent littéralement sous nos roues ou s’accrochent à la remorque : nous n’avions plus connu ça depuis le Vietnam. A la nuit tombante, exténués et peu rassurés par les trajets de nuit, nous nous arrêtons pour respirer devant un restaurant. Les occupants s’approchent, contact sympa, deux jeunes très gentils parlant anglais nous assurent que nous pourrons dormir ici et profiter des sanitaires. Grâce à la présence d’une source thermale, il y a la douche chaude au baquet ! Nous déstressons directement, commandons à manger, les enfants jouent et font des dessins, nous prenons nos aises en attendant de pouvoir aller nous coucher une fois que les clients seront partis.
A 20h30, retournement de situation : le jeune vient l’air emprunté. Son père (le propriétaire des lieux, que nous n’avons vu que de loin) refuse de nous héberger, nous devons donc partir ! La haine ! Aucune explication ne nous a été donnée, probablement que les jeunes s’étaient trop avancés pour nous faire plaisir et que le paternel, vexé de ne pas avoir été directement associé à l’invitation, a décidé de ne pas nous ouvrir sa porte. Colère, pleurs, incompréhension devant une telle inhumanité, nous repartons les batteries et le moral à zéro sur cette montée en pleine cambrousse, de nuit. Encore 7 km de montée en n’ayant aucune idée de ce qui se trouve après le virage suivant. Le sommet enfin atteint, nous traversons Sipirok où invariablement, la réponse à notre requête d’hôtel est : plus loin (avec de fortes variations dans l’indication des kilomètres) ; nous continuons encore 5 ou 6 km en terrain vallonné à la seule lueur de nos phares de vélo, sans vraiment savoir où nous allons atterrir et ne sachant même plus si ça monte ou descend. Envie d’étrangler quelques ados qui veulent taper la causette sur leurs motos ou, pire, qui se plantent au milieu de la route en plein virage pour nous regarder passer en rigolant, obligeant les chauffeurs de bus à des dépassements insensés juste à notre hauteur. Plus de peur que de mal, mais là on sature. Ce n’est que deux heures après avoir quitté le restaurant que nous trouverons un resort avec de spacieux bungalows et surtout une baignoire. Bain pour tout le monde à partir de 23h00, dodo à passé minuit. Nous ferons l’économie de la petite histoire avant de s’endormir…
Jour 5
Après l’épreuve d’hier, pas vraiment envie de se stresser, afin de profiter un maximum de la chambre et, surtout, d’un petit-déj’ occidental avec œufs au plat, toasts et vrai beurre !
L’étape du jour sera beaucoup plus tranquille que la précédente : une trentaine de kilomètres, surtout en descente au milieu des palmeraies, cacaoyers et rizières nous séparent de notre objectif du jour. Pour le repas de midi, c’est toujours le buffet indonésien, mais nous décidons de nous essayer à quelques spécialités, comme différents apprêts de poisson un peu plus appétissants que d’habitude.
C’est à Padang Sidempuan, pourtant une ville grise, sale et bruyante, que nous découvrons l’un de nos meilleurs hôtels du voyage : un véritable havre de paix au personnel adorable au milieu de la gabegie ambiante. Nous décidons d’y prendre un jour de repos bien mérité. La seule sortie pour souper le soir de notre arrivée sera d’ailleurs jugée largement suffisante pour prendre la température du centre-ville ; demain, nous mangerons des cordons bleus et frites à l’hôtel.
Jour 6
Jour de repos, mis à profit pour faire un peu de mise à jour internet, photos, etc… et surtout la lessive. Notre chambre est calme et donne directement sur le jardin à l’arrière de l’hôtel, où nous pouvons étendre notre linge. Les occupations de la journée : regarder des cartoons sur l’ordi entre deux coupures de courant, manger des salades d’avocat et boire des jus de fruits, pas mal comme programme, non ? Et pour Laure, skyper en solo plus de 30 minutes avec sa grande copine Kathrin !
Jour 7
Nous reprenons la route, cette fois sur un terrain pas trop accidenté. A part le départ et l’arrivée en ville, nous suivons une belle route de campagne en fond de vallée plate et traversons quelques jolis villages au milieu des rizières. Il fait très chaud et nous suons à grosses gouttes ; pour les lieux ombragés, on repassera ! Comme d’habitude, nous avons le sentiment que l’on nous prend pour des extra-terrestres.
Les locaux ne pouvant s’empêcher d’essayer d’attirer notre attention, nous commençons un petit florilège des meilleures citations: « I love you » de la part d’une sexagénaire en voile musulman à Frédo ; « I miss you » ou « Hello Miss, I dreamed a dream » de la part de jeunes mecs à Frédo ; sinon les « Hello Mister ! » ou « Hello Miss ! » s’adressent indifféremment à tout occidental, quel que soit son sexe : ça fait partie de la formule !
Comme nous finissons l’étape en forme, nous nous offrons le luxe de traverser toute la ville de Panyabungan aller-retour dans la longueur pour trouver le meilleur hôtel (euh… il y en avait seulement trois, à l’entrée de la ville…) – et du coup, profiter du petit rafraîchissement de l’averse du soir.
Jour 8
Pas de raison de se poser à Panyabungan. Nous reprenons de bon matin par une grosse montée, avec des beignets indigestes dans le ventre. La première pause aura lieu après 7 km. Nous traînons un peu, Léon et Eugénie jouent aux legos, Laure tente de digérer et Frédo papote avec un local très causant et gentil (un peu trop ?) qui veut nous emmener dormir chez lui. Il est 10h30 du matin et nous déclinons poliment l’invitation. C’est absurde que cela arrive en début d’étape et jamais en fin de journée dans un bled perdu loin de tout hôtel… Nous souffrons pas mal dans cette longue montée sous une chaleur étouffante et les arrêts sont nombreux. La traversée d’une série de villages dont la population est quasi entièrement constituée de garçons portant fez et sarong étonne. Il s’agit d’internats religieux et tous ces jeunes logent dans de petites cabanes vertes alignées le long de la route.
Comme nous sommes l’attraction et que chacun y va de sa petite phrase (sympa ou moqueuse, c’est selon), nous pouvons un peu étoffer notre répertoire de citations. Passage du col après un dîner bien mérité, suivi d’une très belle redescente sur la vallée de Kotanopan où nous voyons parmi les plus belles rizières de notre voyage.
Arrivée à Kotanopan, une fois de plus sous la pluie de fin de journée : c’est devenu une sorte de tradition à Sumatra. Il faudra s’y faire, car à ce moment-là, nous ne savons pas encore ce qui nous attend pour la suite… Avant la douche, Frédo se colle au rebletzage de deux chambres à air dans la pénombre : les pannes de courant sont en effet aussi fréquentes que les averses !
Jour 9
Pause à Kotanopan, balade dans cette petite ville pas très jolie, mais entourée de paysages idylliques. Nous découvrons un bistrot tout en bois, rose, où nous aurions aussi pu loger (si Laure avait mieux travaillé son vocabulaire, elle aurait su reconnaître le « penginapan » !). La journée étant pluvieuse, nous attaquons le début d’une longue série des lessives impossibles à faire sécher, ce qui deviendra la règle pour la suite de notre séjour à Sumatra.
Jour 10
Nouvelle étape pimentée par une très belle et régulière montée. Cette fois nous sommes partis aux aurores, avons plus la pêche que lors de l’étape précédente et avons la chance que ce soit ombragé et frais.
Nous voilà donc « déçus en bien » en arrivant au sommet avant midi. Ben quoi ! c’était ça la montée? Dès passage du col, nous sentons que nous passons à un microclimat plus sec sur le versant opposé, où les pins remplacent pour quelques kilomètres la jungle humide. En traversant les villages, nous voyons régulièrement des bâtons de cannelle mis à sécher et de plus en plus souvent des fèves de cacao, picorées par les poulets en stabulation libre. Eh oui, en cette période pascale, nous avons percé le secret de fabrication des œufs en chocolat…
Si on se fait un peu arnaquer au repas de midi, c’est en revanche aussi un moment de partage avec un groupe de garçons rappliqués avec leurs voitures bricolées dans des bouteilles de lessive. Ils font un peu de dessin en notre compagnie avec un plaisir non dissimulé. Dommage qu’ils n’aient pas pris les stylos que leur offrait Eugénie et qu’ils aient conclu par un « money » à notre départ.
A l’arrivée à Panti, nous nous rappelons que c’est Vendredi-Saint en croisant le pasteur de la petite communauté GKBP (Gereja Kristen Batak Protestan) à la sortie du culte. Le reste de la ville est musulman, mais ce jour est férié pour tout le monde. Nous trouvons notre bonheur pour la nuit et c’est seulement là que nous apprenons enfin LE nouveau mot utile pour définir les petits hôtels : « Penginapan ». Nous sommes chez l’habitant dans un drôle de relais pistache à moulures faisant un peu maison de poupées. Ça aurait été parfait, si le gardien n’avait pas roupillé toute la nuit à côté de notre chambre avec la télé à fond…
Jour 11
Départ à 7h30 avec encore 106 km à faire jusqu’à Bukittinggi. A priori, deux grosses journées difficiles, vu les reliefs qui s’annoncent pour le dernier bout et une météo de plus en plus capricieuse. Nous partons tôt, à fond, malgré les averses intermittentes et la moiteur.
Rythme effréné jusqu’à notre pause de midi, commencée à 10h45 à notre arrivée à Lubuksikaping. Avec de jolis chars attelés pour seule attraction pittoresque, cette ville est bâtie tout en longueur autour d’un grand axe de circulation central. On n’y trouve que des bâtiments publics autour d’une rue pourrie bordée de trottoirs surdimensionnés. C’est l’Indonésie à l’envers… Mais où habitent les gens ?
Le repas est costaud : il s’agit du buffet indonésien connu sous le nom de « Padang food », où l’on nous apporte tout l’assortiment sur table dans des petits bols. Paniqués de devoir tout payer, nous stoppons les ardeurs de la serveuse, mais apprendrons par la suite que seuls les bols touchés sont facturés. Ah… ça fonctionne comme ça ? Quelques essais poisson, viande séchée (faut avoir les dents solides !), poulet frit dans une pâte à beignet croustillante et la découverte qui sauve nos repas lorsqu’on en a ras-le-bol du riz : les « pergedel », sortes de croquettes de patates et oignons, excellents !
Un dernier coup de cul à la sortie de la ville précède la belle redescente sur la vallée suivante. Nous passons l’équateur à Bonjol et, à notre grande surprise, nous ne ressentons pour l’instant pas de séquelles particulières de nous retrouver la tête en bas.
Contrairement à nos attentes, pas de logement à Bonjol et la suite de la journée s’annonce coton : nous sommes à 57 km de Bukittinggi et avons près de 1000 m de dénivelé à faire. Nous avançons donc jusqu’au dernier gros village de plaine avant d’attaquer la montagne. Pluie, crevaison à réparer, pas de « losmen » ou de « penginapan ». Pendant que Frédo rustine, Laure et les enfants tentent leur chance devant une mosquée. Malheureusement, nous ne sommes pas assez musulmans pour pouvoir y dormir – d’ailleurs on se demande comment les autres cyclos dont nous suivons les blogs peuvent régulièrement se faire héberger dans les mosquées, car nous n’avons à ce jour rencontré aucun Imam prêt à déroger à la règle.
La solution nous viendra de Daryl, un sympathique monsieur, souriant et à l’anglais parfait qui nous poussera pour les 50 derniers kilomètres de montagne jusqu’à Bukittinggi dans sa camionnette flambant neuve pour un prix très raisonnable.
Première nuit dans un hôtel pourri, mais nous aurons mieux dès le lendemain : le Happy Gusthouse. Dès notre arrivée, nous découvrons immédiatement notre stamm du lieu, le Canyon Café. Spécialités minangkabau et bonne cuisine occidentale, pancakes et bircher pour le matin, prix doux, service efficace et souriant, enfants, wifi rapide : tous les ingrédients sont réunis pour que nous y passions du temps, la météo n’étant décidément pas au beau fixe.
5 jours à Bukittinggi
Nous déclipons quelques jours, pour nous remettre un peu de nos émotions. Au menu : repos bien sûr, mais aussi une journée sympa avec Camil et Emilie déjà rencontré au lac Toba. Arrivés quelques jours avant nous, ils nous font le tour du propriétaire en nous indiquant où déguster de bons petits cafés, yoghurts, gâteaux au chocolat.
En ville même, nous nous perdons dans les méandres de l’immense marché des produits frais, dans le top ten des plus pittoresques vus du voyage… sur la colline, les marchands de pierres semi-précieuses polissent avec soin leurs trésors sur d’étranges machines bricolées à partir de vieux vélos.
Nous aurons réussi à crapahuter un peu en ville, voir le zoo local – assez déprimant – nous balader dans quelques quartiers plus populaires entre deux averses. Le temps maussade nous a néanmoins imposé des occupations d’intérieur, comme faire « l’école », alors que Ling, la propriétaire de notre guesthouse s’est découvert des talents cachés comme baby-sitter ultra zen et prof de pâte à modeler…
Pas trop chauds pour de grands tours organisés, nous avons préféré prendre les minibus locaux, les « angkot » pour faire des excursions dans deux villages connus pour leur artisanat : bijoux en argent à Koto Gadang, localité par ailleurs remplie de jolies maisons en bois ; sculpture sur bois et tissage à Pandai Sikat. Si nous n’avons pas flashé sur les productions elles-mêmes, la vie campagnarde et l’environnement des volcans perdus dans la brume étaient du plus bel effet. On a même vu des taureaux « suisses » de race Simmental…
Finalement, le muezzin de la mosquée aura eu raison de nous à force de beugler des discours agressifs à 5h du matin, en plus de l’appel à la prière traditionnel. C’est donc avec les oreilles qui sifflent et un certain soulagement que nous quittons la ville le 5 avril en direction du lac Maninjau.
Qu’allons-nous décider pour la suite ? Nous vous laissons quelques jours de répit afin de stimuler votre imagination !
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A Sumatra, des hauts et des bas
Écrit par Famille Carrard | 03/04/2013 08:53Ferry, vélo, bus, minibus, vélo, ferry, vélo : ouf… on y est !
Nous nous attendions à un changement de rythme, de régime et de difficultés en arrivant sur l’île de Sumatra, région beaucoup moins touristique et « occidentalisée » que celles traversées les mois précédents, en particulier la Thaïlande et la Malaisie occidentale. En matière de dépaysement, nous n’avons donc pas été déçus en nous retrouvant dans le bain dès le débarquement sur sol indonésien à Dumai le 15 mars.
Après notre traversée en ferry rapide depuis Melaka, le débarquement se fait dans l’anarchie la plus totale sur un quai trop petit pour contenir les passagers, leurs bagages et les proches venus embarquer tout ce petit monde. Nous avons donc patiemment attendu que ça se décante pour attaquer les formalités d’arrivée à Dumai, ville portuaire sans grand intérêt, polluée et poussiéreuse.
A 13h30, c’est derrière et nous apprenons que vers 18h00, un bus de nuit part pour Prapat, principale ville au bord du lac Toba. Nous allons donc devoir nous occuper une demi-journée dans la ville de Dumai – tout un programme – sous un soleil de plomb, car il n’y a rien à y faire, pas un seul arbre où se mettre à l’ombre et les seuls établissements publics où nous sommes susceptibles de boire un jus sont des restaurants qui offrent tous exactement le même assortiment de poissons grillés (d’avance, pas super appétissants) ou en diverses sauces fortes, idem pour le poulet, le grillé étant le seul pas fort. Le menu type : riz blanc avec poulet grillé sec, généralement accompagnés de trois tranches de tomate et de concombre ; ce premier repas d’une longue série va devenir notre standard de l’Indonésie non touristique. Après avoir parcouru sans nous presser les 5 km qui séparent le centre-ville de la gare des bus, nous y passons l’après-midi à glandouiller et observer la faune qui y zone. Embarquement à la nuit tombante avec notre barda sur le toit du bus et c’est parti pour 18 heures de trajet…
Nous traversons des centaines de kilomètres de plantations de palmiers, de jungle, de villages colorés et quelques villes bétonnées. Circulation dense de camions croisant en force sur une route principale aussi large qu’une desserte villageoise, minée de nids de poules. L’arrêt pour souper dans un relais du crû se fait attendre jusqu’à 23h00 et nous devons réveiller les enfants qui avaient déjà bien commencé leur nuit. Bon courage pour les rendormir après le nasi goreng…
L’arrivée en pays batak au petit matin apporte son lot de surprises : le climat est plus frais, car nous sommes autour de 1000 m d’altitude ; les brumes matinales qui se dissipent sur les rizières laissent apparaître d’innombrables clochers en lieu et place des minarets et des dômes de mosquées. La route qui descend de Siborong Borong sur le lac Toba, étincelant au soleil, traverse encore quelques petites villes où s’intercalent entre fers à béton et maisons de catelles des bâtiments typiques en bois aux façades richement décorées.
Ultime péripétie, trente kilomètres avant notre but, le bus dont nous sommes les derniers clients s’arrête en rase campagne : « transit » nous annonce-t-on. Nous avions pourtant pris un véhicule à destination de Prapat ! Ici, lorsqu’il n y a plus assez de clients, le bus ne va pas au bout de sa course. Nous allons devoir terminer dans un minibus à desserte locale complètement pourri. Lorsque le chauffeur baragouine à Frédo de faire le transfert des bagages, nous lui faisons bien comprendre qu’il rêve. Il se débrouille donc avec ses acolytes (il y a toujours 2 chauffeurs et deux aides par bus…) pour transporter tout le paquetage d’un toit à l’autre, sous haute surveillance. Ensuite ils nous monnayent comme de vulgaires marchandises avec le chauffeur du minibus pourri, à qui nous n’aurons – heureusement – rien de plus à payer. La fin du voyage est beaucoup plus folklorique, mais nous sommes vers midi à Prapat avec un Léon qui reprend enfin des couleurs. Aucune raison de rester dans cette ville et, après un petit dîner ravigotant, c’est reparti pour une tournée de ferry.
Débarqués à Tomok, nous reprenons nos vélos pour une ultime cavalcade et terminons au village de Tuk Tuk, presqu’île au bout d’une presqu’île au milieu du lac… fin de l’étape. Nous sommes heureux de dénicher une immense chambre avec vue sur le lac dans un guesthouse vide (les derniers clients occidentaux sont passés un mois avant et les Indonésiens ne viennent au compte gouttes que le week-end) où nous allons passer quelques jours.
On se plaît en terre batak
Danau Toba
Le lac Toba, « Danau Toba » en batak, occupe un gigantesque cratère de plus de 100 km de long sur ne cinquantaine de large formé par l’éruption d’un supervolcan il y a plus de 70’000 ans. Le plan d’eau lui-même se situe à 900 m d’altitude, a une surface un peu plus grande que celle du lac Léman et la majeure partie de son centre est occupée par la presqu’île de Samosir, résurgence du fond du cratère provoquée par la poussée du magma. Sur le flanc nord-ouest, le cône régulier d’un plus petit volcan, éteint lui aussi, est planté directement au bord du lac avec à son pied des sources d’eau chaude. L’une de ses coulées de lave a formé l’isthme de Pangururan qui relie la grande presqu’île de Samosir à la terre ferme. Tout autour, le bord du cratère constitue une barrière escarpée qui culmine environ 1000 mètres au-dessus du lac. Le mur est particulièrement impressionnant sur le côté occidental, avec une seule route praticable que nous avons choisi comme itinéraire pittoresque en fin de séjour pour quitter les lieux sur nos vélos.
Les Bataks
Isolés dans leurs montagnes et redoutables guerriers, les Bataks sont l’un des peuples des Indes Néerlandaises restés longtemps hors des sphères d’influence de l’Islam et des colonisateurs. En dépit d’une réputation de coupeurs de têtes et de cannibales, ils étaient détenteurs d’une civilisation originale au système judicaire sophistiqué et avaient créé leur propre alphabet. Convertis au protestantisme luthérien depuis 1864 par des missionnaires allemands emmenés par Ludwig Nommensen, ils ont depuis lors arrêté de manger leurs repris de justice et de démembrer leurs ennemis. Actuellement, on peut donc se balader chez les Bataks sans grands risques, les plus dangereux étant les chauffeurs de bus (comme partout en Asie… ).
On connaît la chanson
La musique occupe encore aujourd’hui une place à part chez les Bataks. Nous l’avons découvert sur le ferry qui nous a emmené de Prapat à Tomok : pour gagner quelques roupies, un groupe de garçons a chanté tout le trajet a capella avec une conviction et une ferveur que l’on retrouve par exemple dans les negro spirituals ou le blues des Afro-américains. Le soir les hommes se retrouvent sur les terrasses des bistrots et, tout en buvant leur alcool de palme, chantent en cœur ou à tour de rôle accompagnés d’une guitare. On retrouve un peu l’ambiance des veillées scoutes ou des soirées JP. Plus étonnant, au détour d’une balade dans le village de Tuk Tuk, un papy bonhomme et rondouillard sur sa moto s’adresse en chantant à une voisine qui lui répond de même… la version indonésienne des films aux dialogues chantés, transposée dans la vie réelle !
Art, culture et architecture
De leur culture plurimillénaire subsistent de nombreux domaines artistiques où les Bataks excellent, comme le tissage, l’artisanat du bois et des techniques de construction tout à fait étonnantes : leurs maisons en bois sur pilotis aux toits cambrés et aux façades obliques richement ornées sont immédiatement reconnaissables. Si les toits de tôle ondulée forment désormais l’essentiel des couvertures, on en trouve encore quelques-uns en chaume, roseaux ou en planchettes de bambous.
Le syncrétisme entre tradition batak et christianisme se traduit par des adaptations originales dans le domaine du sacré. Leurs églises à clocher pointu et haut perché, sont influencées directement par la forme de celles que l’on trouve chez nous, plus globalement au nord des Alpes et dans la région rhénane, à l’exception près que le fronton de leur porche reprend l’ornementation traditionnelle de la maison, avec des représentations en entrelacs encadrant un masque grimaçant à l’aspect démoniaque (ou du moins pas très catholique… vous suivez ?).
Autre exemple d’adaptation des rituels locaux : dans le domaine funéraire, très peu de cimetières fonctionnent à l’échelle communautaire ou villageoise. Généralement, on a affaire à un unique tombeau familial isolé, en bord de route, au milieu de la rizière ou le plus souvent directement à côté de la maison. Ces sortes de mausolées en catelles et béton portent une simple croix sur la face frontale et les caissons individuels s’ouvrent sur la face arrière. L’édifice est le plus souvent surmonté d’une représentation miniaturisée et joliment peinte de la maison traditionnelle, parfois d’une église et, pour les plus gros mausolées (ceux des familles les plus importantes ou les plus influentes, sans doute), des représentations d’ancêtres grandeur nature en costume d’apparat, en couple, parfois en armes. Et lorsque le mausolée familial est plein, on en construit un plus gros à côté…
Et nous pendant c’temps-là
Tombés sous le charme du lieu et contents de ne pas suinter pendant quelques jours, une de nos activités favorites est de dénicher de jolies pièces d’artisanat. Un peu déçus de ne pas avoir trouvé de souvenirs non périssables en Malaisie, nous nous lâchons et remplissons nos sacoches malgré les montées qui nous attendent… et il y a de quoi faire, moyennant que nous dépoussiérions un peu la couche supérieure des textiles ! La période faste du tourisme à Sumatra appartenant en effet au passé, les points d’intérêt touristiques et les échoppes environnantes semblent le plus souvent plongés dans une profonde léthargie. Dans le village de Tomok, connu pour les tombes d’un des derniers rois bataks, les échoppes s’étendent à perte de vue et attendent la visite du premier touriste de la journée (ou de la semaine). Passer là au milieu provoque une sorte de holà au sein de petites dames désœuvrées qui s’animent et font le marchandage toutes seules pour être sûres d’arriver à vendre l’une ou l’autre babiole. Si l’on fait abstraction des éternels T-shirts et porte-clés, l’artisanat local recèle de véritables trésors en matière de tissage, gravure et sculpture.
A Tuk Tuk même, nous rendons visite à un sculpteur sur bois, os et corne dont le magasin et l’atelier font également office de musée d’ethnographie, avec autant de vieilles reliques familiales que de productions de l’artisan. Nous lui commandons une plaquette en bois et il invite les enfants à venir dans son atelier le lendemain pour une initiation à la gravure. Après quelques coups de ciseau et maillet, les xylophones et les tamtams auront plus de succès auprès des artistes en herbe. Outre notre commande, nous repartirons avec un masque traditionnel, des pendentifs et le sentiment que si les œuvres avaient été moins volumineuses et plus légères, nous aurions sérieusement entamé ses réserves.
La deuxième activité favorite : manger des rösti ! Pour une fois dans la rubrique des spécialités « western » pour backpackers, les frites passent au second plan. Nous trouvons aussi du pain maison aux céréales et du bircher. Merveilleux ! Et surtout, nous savons qu’il faut vraiment en profiter, car notre prochaine traversée de dix jours sur Bukittinggi se fera dans la cambrousse indonésienne : riz et poulet à tous les repas !
Quand enfin nous nous décidons à bouger un peu de notre quartier, nous tombons sur le Maruba, petit restaurant aux spécialités bataks : poisson du lac grillé et légumes verts apprêtés avec des cacahuètes. Difficile de vous décrire exactement les goûts, mais nous, nous salivons encore rien que d’y penser !
La vie paisible à Toba nous a énormément plu, peu de touristes, des locaux adorables, un cadre magnifique, un lac propre et frais pour se baigner. Mais ce fichu temps qui passe nous a rappelé qu’il y avait encore de la route si nous voulions arriver à Bali début mai. Et quelle route…
Courage, en selle !
Le 20 mars, c’est le grand départ en direction de Bukittinggi où nous projetons d’être autour du 2 avril. Un peu anxieux de reprendre la route (comme au départ de Luang Prabang au Laos), nous nous répétons qu’en cas de difficultés, nous avons toujours trouvé une solution.
Cette devise s’est révélée exacte car nous sommes arrivés à destination le 30 mars, exténués, mais soulagés et fiers de nous. Le récit jour après jour dans le prochain article.
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Malaisie, quand tu nous tiens…
Écrit par Famille Carrard | 19/03/2013 10:10Info : c’est bon, l’article a été complété avec les photos !
Pour clore notre magnifique séjour en Malaisie, rien de tel que de passer quelques jours à Melaka, ancienne colonie portugaise bâtie pour contrôler le détroit, actuellement classée à l’UNESCO. L’occasion également – une fois n’est pas coutume – d’apporter quelques éclairages sur la diversité culturelle de ce pays et de livrer nos impressions.
Melaka
Tourisme urbain
Avouons-le, nous avons eu un peu de peine à trouver nos marques au départ, dans cette ville qui, contrairement à Georgetown, l’autre grand site patrimonial de Malaisie, paraît sans queue ni tête du point de vue urbanistique. De l’établissement fortifié portugais, situé environ 3 km au sud-est du centre actuel, seul subsiste un canon pointé vers le large. Les nouveaux quartiers résidentiels actuels occupant les lieux sont plutôt jolis, alors que les résidus de vieux bouibouis populaires qui tiennent davantage du bidonville disparaissent au profit de gros complexes hôteliers. Le « Portuguese Square » n’est rien d’autre qu’un marché couvert en béton de plus et nous ne sommes pas allés vérifier si en lieu et place des nasi goreng, on servait de la bacalhau dans les petits bistrots du quartier.
Le centre-ville actuel, où s’est à l’origine développée l’occupation hollandaise, est séparé en deux parties par la rivière : sur la rive orientale, la colline Saint-Paul porte encore les vestiges de fortifications à son sommet et sur son flanc oriental, mais on a ici davantage affaire à un site archéologique qu’à un centre-ville bâti ; à son pied, directement au bord de la rivière, le quartier rouge s’étend de manière linéaire de part et d’autre de la Christ Church of Melaka, un temple baroque protestant construit par les Hollandais en 1757 (qui n’est pas sans rappeler celui d’Yverdon, de la même époque, à part la couleur) puistransformé par les Britanniques en église anglicane. Le très joli, mais petit centre historique se limite à une belle rue à arcades et à quelques imposants bâtiments coloniaux, tous rouges, couleur d’ailleurs imitée par une série de verrues sans style qui tentent de s’intégrer au milieu.
Sur la rive opposée, le quartier chinois autour de Jonker’s street offre les plus belles vues d’architecture urbaine coloniale, avec quelques superbes temples chinois et la plus ancienne mosquée de la ville. Hélas, l’offre en hôtellerie et restauration étant entièrement tournée vers le tourisme, on y trouve davantage de bars à Guinness et de boutiques de souvenirs que d’échoppes à soupe de nouilles. La population locale y est submergée par les touristes de tous azimuts.
Sinon, d’innombrables rues à maisons anciennes sont éparpillées sur des kilomètres hors du centre, mais non intégrées au périmètre classé, elles disparaissent lentement au profit d’un développement urbanistique complètement anarchique qui fait également fi des piétons et des cyclistes. Finalement, nous avons apprécié le romantisme un peu plus brut des quais graffités – envers du décor des façades toutes jolies du quartier chinois – et du Little India local.
Mention particulière pour le restaurant Indien qui nous a servi de cantine du soir : nous y avons dévoré avec bonheur d’excellents roti canai, nans et diverses spécialités servies sur des feuilles de bananiers. Mais ce qui rendait le lieu attractif, c’est principalement l’ambiance détendue et le personnel au sourire inamovible et aux petits soins pour les enfants.
En définitive, nous avions le sentiment que le centre historique de Georgetown avait un côté beaucoup plus authentiquement populaire que le centre de Melaka, qui semble avoir perdu un peu de son âme à cause du tourisme. Si le centre UNESCO de Melaka est très photogénique, c’est dans les quartiers périphériques que nous nous sommes le plus sentis à l’aise avec le petit peuple local.
Dans la jungle bleue
Pour nous rafraîchir, nous nous rendions en soirée à la piscine municipale – ou plutôt la piscine des Chinois – pour faire fructifier les talents de Léon et Eugénie et … observer les gens : les cours de natation privés avec des professeurs improvisés étaient dignes des Bronzés. Un escadron de gendarmes en slip de bain n’aurait pas été un luxe pour régler la circulation des différents groupes faisant des traversées sans regarder, qui dans la longueur, qui dans la largeur : une version aquatique de la circulation en ville avec feux de signalisation en panne… L’un des grands paradoxes des nageurs (en tout cas les Chinois de Malaisie), c’est que plus ils ont des lunettes de natation, moins ils regardent où ils vont !
Home sweet home
A notre arrivée, nous avons fait un tour de ville pour nous rendre compte que les logements urbains repérés dans nos guides – lorsqu’ils existaient encore – étaient peu avantageux et peu pratiques avec des vélos. Nous avons trouvé un premier pied à terre dans une belle maison coloniale chinoise rénovée, mais un peu excentrée et peu attractive pour une famille avec deux bougillons comme les nôtres. Lors de notre quête de restaurant du 3ème soir, notre découverte inattendue de l’Apa Kaba Guesthouse est donc une véritable révélation : située dans un « kampung » (quartier qui correspondait à l’origine à un village hors du noyau urbain), cette très belle demeure traditionnelle verte et bleue toute en bois est tenue par une famille adorable. Surtout, on y profite d’un immense jardin et des vélos et trottinettes des enfants de la maison.
Au petit-déjeuner, toasts, confiture et vrai beurre sont complétés par diverses spécialités locales, du riz en feuille de bananier à tout un assortiment de beignets salés ou sucrés. Le tout pour une bouchée de pain ! Nous nous y plaisons tellement (coup de cœur pour la cuisinette) que nous repoussons notre départ. Car quand on voyage longtemps, on a parfois besoin de se sentir comme à la maison. Juste à côté, la petite terrasse musulmane du quartier est devenue notre cantine du midi. Idéal pour une assiette de mee goreng servie par une jeune femme au rire communicatif.
Excursion à Ayer Keroh
Afin de nous remettre en jambes le dernier jour, nous avons fait une escapade d’une trentaine de kilomètres à Ayer Keroh. La grande route en plein cagnard nous a mené dans un joli site ombragé, sorte de Signal de Bougy local dont les installations tombent gentiment en désuétude en raison du développement exponentiel de centres d’attractions autrement plus lucratifs dans les environs.
Le zoo voisin venant de doubler ses tarifs (voire tripler pour les enfants), nous avons fait une croix dessus et nous sommes finalement rabattus sur une très chouette place de jeux au bord d’un lac avant de nous faire rafraîchir par un impressionnant orage tropical au retour.
La Malaisie « pour les Nuls »
Diversité culturelle et religieuse
La diversité ethnique et religieuse va de pair avec les groupes humains qui se sont greffés sur le substrat malais à l’époque coloniale. Avec des comptoirs commerciaux dans toute l’Asie du Sud-est, les Chinois ont été présents dans la péninsule bien avant l’arrivée des Occidentaux. Ils s’y sont implantés massivement et durablement à la fin du XIXe et au début du XXe siècles. Quant aux Indiens, ce sont les Britanniques qui les ont fait venir à la même époque, en premier lieu pour travailler dans les plantations d’hévéas, puis de palmiers.
Les Malais sont généralement musulmans sunnites, mais on trouve des communautés chrétiennes : catholiques convertis par les premiers missionnaires portugais ; protestants évangélisés par les Hollandais, puis les Britanniques. Du fait de la forte présence coloniale à Melaka, les communautés chrétiennes sont bien représentées dans cette région. Plus généralement, les Chinois pratiquent toutes sortes de religions populaires en plus du bouddhisme et du taoïsme, mais également le christianisme. Ainsi, chaque ville possède son église méthodiste chinoise. Les Indiens sont majoritairement hindous, une part importante provenant aussi des communautés islamiques présentes dans tout le sous-continent.
L’ensemble de ces groupes cohabite pacifiquement. Par contre, le sens communautaire étant très fort, les incompatibilités culturelles se ressentent dans la vie sociale : un mariage entre une Musulmane et un Chinois est quasi impossibles, par exemple. De plus, les enfants fréquentent des écoles propres à leur communauté ethnique, linguistique et religieuse, ce qui ne facilite pas le mélange : les matières et les valeurs enseignées sont ainsi propres à chaque groupe.
La Tour de Babel à côté, c’est du pipeau…
Une multitude de langues sont parlées en Malaisie. L’affichage publicitaire en ville et les enseignes des commerces nous indiquent l’origine des tenanciers ou des constructeurs du bâtiment. On passe allégrement d’inscriptions en langue malaise, en alphabet latin ou arabe (comme dans la plupart des pays islamiques, utilisé par les Malais avant l’époque coloniale), idéogrammes chinois ou alphabet sanskrit.
Le malais est la langue maternelle des … Malais, soit un peu plus de la moitié de la population. Le reste se répartit entre de multiples dialectes du sud-est de la Chine, principalement le hokkien et le cantonais. Mais dans les écoles, on enseigne le mandarin comme langue officielle pour tous les Chinois. Pour les Indiens, c’est encore plus compliqué, vu les innombrables idiomes parlés par les multiples ethnies originaires du sous-continent. Les Tamouls y sont néanmoins majoritaires.
Dans les régions reculées, quelques minorités (les Orang Asli) parlent d’autres langues indigènes. Si le malais est la seule langue officielle pour tout le monde, il n’est cependant pas étonnant que l’anglais occupe une place importante dans les échanges, passé colonial oblige et aussi parce que c’est la langue internationale commune enseignée dans les écoles spécifiques à chaque groupe ethnique ; aucune surprise donc d’entendre des citoyens malaisiens chinois et indiens se parler en anglais (c’est un peu comme lorsqu’un Romand et un Alémanique parlent ensemble en anglais car aucun ne veut parler Hochdeutsch) ! C’est pourquoi au restaurant, une carte traduite en anglais n’est pas uniquement destinée aux touristes. Well…
Nos impressions
Le Malais, c’est facile (et parfois rigolo) !
Du colonisateur, la langue malaise a assimilé l’alphabet latin et nombre de mots d’origine anglaise retranscrits de manière phonétique. C’est en les lisant à haute voix que l’on comprend leur sens : « teh limao ais » pour les thés-citron glacés ; « botol » pour une bouteille ; « stesen » pour la gare ; « bas sekolah » pour les bus scolaires ; « motosikal » pour une moto etc… quant à nous, nous voyageons sur nos « basikal ».
D’usage quotidien, on trouve des mots issus d’autres langues européennes, comme le français (l’indéboulonnable et international « restoran ») ou le portugais (« bomba » pour les pompiers). D’autres mots ont des étymologies plus obscures, mais prêtent à sourire, comme « isteri » pour l’épouse…
La palme du sympa pour les Malais et Malaisiens
Depuis notre arrivée en Asie il y a bientôt neuf mois, la Malaisie est de loin le pays où il est le plus facile de voyager en famille, du fait du bon niveau d’anglais et aussi du contact assez facile avec les locaux. Les gestes et mots de sympathie à notre égard ainsi que la bienveillance générale vis-à-vis de ces Occidentaux pédalant sur leurs drôles de machines nous ont généralement fait chaud au cœur. Combien de fois avons-nous entendu « take care ! » ou « God bless you ! » ? Sans parler des marchands qui offraient spontanément des fruits, etc…
Malaisie rime avec famille
Avec les enfants, comme partout en Asie, nous avons été bien accueillis presque sans exception. La principale différence avec les pays visités précédemment, c’est qu’en Malaisie, on trouve en plus un peu partout des espaces de détente avec places de jeux en très bon état. Nul besoin de s’inquiéter comme en Chine dans les châteaux gonflables défaillants plantés parfois dans des endroits sinistres, comme au Vietnam dans une cage remplie de 1.50 m de boules plastique où l’on voyait disparaître les enfants piétinés ensuite par d’autres, comme au Laos dans l’unique place de jeux du pays praticable uniquement de nuit (pas d’ombre) sans éclairage ou encore comme au Cambodge dans les prés où le gambadage était impensable à cause des mines… Bien sûr, une place de jeux, un zoo ou un parc d’attractions ne sont dans l’absolu pas nécessaires pour faire découvrir un pays à des enfants. Néanmoins, même à dose homéopathique, ils prennent un immense plaisir à se défouler dans un espace qui est spécialement conçu pour eux. Et pour les parents, quel plaisir de se détendre !
Encore un autre signe qui ne trompe pas : dans les restaurants, il y a systématiquement des chaises hautes pour bébés. On croit rêver ! Bref, un pays où il fait bon voyager avec des petits !
A table !
Autant nos mirettes sont restées sur leur faim à cause de paysages souvent dénaturés, autant nos papilles ont été largement mises à contribution ! Sans vous citer toutes les spécialités chinoises, malaises et indiennes que nous avons goûtées (pour cela, il suffit de lire nos articles sur la Malaisie, il y en a un peu partout), faites-nous confiance, nous avons réservé une part importante de notre budget pour… manger !
Sûrement parce que nous avions besoin de changement après des mois de nouilles et riz sautés, notre cuisine favorite était indienne. Peut-être aussi la plus accessible pour les enfants avec une pensée particulière aux roti canai que nous avons appréciés à toute heure du jour et de la nuit. La révélation était à tel point réussie qu’une prochaine aventure en Inde n’est pas exclue !
Nous découvrons que l’outillage principal pour se sustenter est la main droite. Dire que nous nous battons depuis toujours pour que Léon et Eugénie se servent de leurs couverts… Car voir une petite Malaise manger avec ses doigts est bien plus classieux qu’une Eugénie qui s’en donne à cœur joie en offrant un spectacle apocalyptique…
Alors, si vous êtes aussi gourmets et gourmands que nous, la Malaisie est une étape incontournable pour votre prochain voyage à thème !
Et vogue le ferry pour Sumatra
Pendant notre semaine à Melaka, nos montures ont subi un lifting en règle et les dérailleurs ont fait leur séjour de remise en forme chez l’ortho-mécano. Nous avons également pu profiter du « service de poste » offert par deux adorables Bernoises sur le retour.
Au matin du 15 mars, tout notre barda empaqueté, nous sommes donc fins prêts à quitter Melaka et la Malaisie, non sans une petite larme à l’œil. Objectif : l’Indonésie ! La traversée sur Dumai (Sumatra) se fera en ferry, puis nous enchaînerons avec un bus de nuit jusqu’à Parapat (lac Toba), où un nouveau ferry nous mènera jusqu’au village de Tuk Tuk. Arrivés le samedi 16 en fin d’après-midi dans un état second, nous y prendrons quelques jours bien mérités de repos total les pieds dans l’eau fraîche.
Mais cette équipée haute en couleurs vous sera contée une fois que nous aurons déjà quelques cols derrière nous… Nos mollets en tremblent d’avance !
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Un roc, un pic, un cap, une péninsule !
Écrit par Famille Carrard | 13/03/2013 18:18On roule plus vite que la mousson…
La semaine à Penang nous a permis de recharger les batteries, de nous imprégner un peu plus de la culture des minorités chinoises et indiennes et de nous rendre compte que la saison des pluies n’était pas tout à fait terminée en Malaisie péninsulaire. Nous y avons d’ailleurs essuyé quelques impressionnants orages certains soirs.
Pas étonnant donc de rejoindre la côte sous un ciel gris que nous n’avions quasi pas connu depuis la Chine. A notre arrivée en Asie du sud-est sous des latitudes tropicales, nous avons toujours suivi la mousson mais en six mois, on pouvait compter le nombre d’averses sur les doigts d’une seule main. L’aspect positif, c’est que du coup nos trajets à vélo ont été rendus plus supportables en raison de températures agréables, sinon fraîches, comme en juillet en Suisse !
Sur les traces des Chinois, de Taiping à Ipoh
Les plaines de la façade occidentale n’offrent à vrai dire pas grand intérêt : après Butterworth, nous nous familiarisons avec notre nouvelle carte routière dans un réseau passablement bétonné, industrialisé et pollué (souffle court). En avançant vers Taiping, nous pouvons prendre des routes secondaires traversant rizières, palmeraies et – dès que les collines imposent leurs pentes escarpées – de vraies forêts tropicales encore épargnées par les défrichages. C’est aussi dans les campagnes que l’on trouve une population plus authentiquement malaise et musulmane.
A Taiping, notre première pause dans la province du Perak, nous nous installons dans un vieil hôtel de style colonial ayant, pour la petite histoire, servi de QG à l’état-major japonais en garnison dans la région pendant la Seconde Guerre Mondiale. Quelques anciens hôtels, maisons marchandes, une tour-horloge et les marchés s’ajoutent au tableau des quelques pittoresques vestiges de la grandeur passée de la ville, lorsque c’était le centre névralgique du commerce chinois dans la région. La ville se targue par ailleurs d’avoir toute une série de « premiers » en Malaisie : première gare, premier zoo, etc…
La visite du zoo n’a pas déçu nos attentes : moderne, animaux en bonne santé, place de jeux, environnement très vert au milieu de jolis parcs… Léon et Eugénie ont été ravis d’en faire la visite avec leur papa, pendant que maman se reposait. Nous n’avons pas oublié la photo souvenir avec le python albinos local. Ironie du sort, la plus grosse colonie de macaques des environs squatte les abords extérieurs de l’entrée et tient le premier rôle dans le « recyclage » des déchets produits par la clientèle du zoo…
Nous avons ensuite retrouvé les collines pour rejoindre Kuala Kangsar, autre charmante petite ville dont les monuments royaux essaiment hors du centre. Nous atterrissons dans un sympathique hôtel chinois bon marché (palme du meilleur rapport qualité-prix en Malaisie), avec « tea room » ombragé attenant pour prendre les 4-heures avec les locaux du quartier de toutes origines : il est plaisant qu’en ce lieu, Malais, Chinois et Hindous se mélangent, ce qui n’est de loin pas toujours le cas !
Après une petite sieste, balade sous les portiques des maisons chinoises pour rejoindre la plus belle place de jeux vue en 8 mois d’Asie. Nous y observons une scène assez cocasse ; les Malaises musulmanes de tous âges se sont mises à une pratique dont nous croyions seuls les Chinois friands : la danse collective en plein-air sur des airs disco-gnan-gnan! Il faut bien admettre que cet exercice n’est pas un luxe à la plupart pour gommer un peu leurs rondeurs superflues, d’habitude habilement camouflées sous des habits amples et longs!
Au retour, un arrêt dans la grande salle du centre culturel chinois en pleine effervescence nous a plongé une dernière fois ( ?) dans l’ambiance du Nouvel-An Chinois (que nous ne présentons plus, c’est la dernière fois qu’on en parle, promis !).
De Kuala Kangsar, nous avons slalomé entre les palmeraies et contourné la montagne pour rejoindre Ipoh, sous des averses tropicales ravigotantes (courtes mais efficaces) ! Cet arrêt s’imposait avant de filer dans les Cameron Highlands. Nous avons fait un décevant tour de ville sur la rive occidentale de la rivière, où se trouvent théoriquement les quartiers coloniaux les mieux conservés : en fait, une ville fantôme aux devantures fermées ; nous sommes vite retournés nous réfugier sur la rive orientale, plus moderne.
Outre notre stamm dans la boulangerie locale, nous y avons apprécié un marché coloré dans un bâtiment hideux, une petite échoppe indienne où on pouvait siroter d’excellents thés « tarik » et toutes les déclinaisons des crêpes « roti ». Ces délices nous étaient servis par un grand nounours moustachu au sourire bienveillant, sur fond du heavy metal du stand voisin. Dans ce quartier subsistaient tout de même quelques très belles rues anciennes de maisons à portiques abritant les commerces les plus divers.
Il n’y a guère qu’en repartant pour la gare des bus que nous avons aperçu de loin les quartiers plus monumentaux hérités des colons Britanniques, comme la grande gare d’un blanc immaculé, pas assez cependant pour nous faire dévier de notre trajectoire. Nous étions déjà branchés sur notre prochain défi : faire entrer nos vélos dans le premier bus du matin pour effectuer sans (trop) se fatiguer les 1600 mètres de dénivellation pour atteindre Tanah Rata, dans les Cameron Highlands.
Dans les Highlands, on fait son marché
Aucun regret d’avoir avalé rapidement la très belle route en lacets traversant la forêt tropicale, car c’est une ascension sans répit qui nous aurait attendu : sur près d’une centaine de kilomètres, pas un bistrot. Arrivés en haut, c’est la baffe ! La jungle a disparu et tous les flancs des montagnes sont occupés par des serres qui semblent surtout tenir là par la force de l’esprit. Pas trop envie d’aller y sarcler des salades en pleine mousson, en tout cas ! On y produit, choux, tomates et – surtout – des fraises hors-sol célèbres et célébrées loin à la ronde. Maraîchers et pépiniéristes rivalisent d’ingéniosité pour exploiter le moindre mètre carré de ces terrains pentus et ravinés sur leurs vieilles jeeps rouillées. Sortis des serres, nous traversons Brinchang, puis atteignons notre but Tanah Rata.
De Brinchang, nous sommes surpris de découvrir des hôtels belle époque désuets, décrépits, et probablement beaucoup trop grands pour la demande en saison… en faisant abstraction de l’environnement végétal tropical, on pourrait se croire dans des stations alpines à sanatoriums au début de l’automne. Quelques maisons d’hôtes plus haut de gamme reflètent bien l’influence britannique et rappellent d’autres « Highlands ». Nous nous souvenons avoir vu peu ou prou les mêmes maisons de maîtres près de Pitlochry en Ecosse.
Autre signe de l’héritage britannique que nous n’avions pas encore connu en Malaisie (et plus intéressant pour nous autres gourmands) : au nombre des spécialités locales, on compte de « divins » scones que nous avons dégusté à plusieurs reprises dans un café de Tanah Rata, le bien nommé « The Lord’s Scones ». Mais ici, point de grands rouquins en kilt ! Ce sont les Chinois qui sont propriétaires des plantations et des hôtels, alors que les Indiens tiennent les restaurants et font les petites mains dans les serres.
En parlant de serres, pour ne pas oublier qu’en Suisse, février rime avec l’arrivée des fraises espagnoles hors-sol de saison, nous n’avons pas manqué l’orgie de ces succulents fruits rouges sous serre, garantis locaux. C’est le seul endroit en Asie du Sud-Est où elles soient produites… Nature, en confiture, shake, brochette trempée dans du chocolat fondu, avec miel et crème fouettée, nous avons eu du mal à nous arrêter !
Néanmoins, accueillis par les frimas et des averses dont nous avions presque oublié l’existence, nous avons été également refroidis par les tarifs surfaits de l’offre hôtelière et avons donc décidé de ne pas nous éterniser dans les Cameron Highlands. Nous avons donc repris la route – à la descente, ouf ! – et terminé notre traversée des serres. Nous avons heureusement profité du spectacle autrement plus esthétique des plantations de thé dans la vallée qui descend sur Ringlet, avant de filer vers la plaine sur le versant oriental des Cameron Highlands avec la remorque remplie de confiture, miel, thé et fraises. Quel plaisir de faire son marché à la « ferme version chinoise » !
La traversée de la jungle
La récente route 156 rejoint la vallée de la rivière Pahang et traverse des contrées encore sauvages, mais jusqu’à quand ? Le contraste est assez saisissant lorsque l’on passe les dernières serres pour entrer presque sans transition dans la jungle. Quelques villages-dortoirs pour les Tamouls exploités dans les plantations sont visibles le long de la route pendant quelques kilomètres. Puis des chantiers routiers annoncent la fin prochaine de la vie sauvage dans l’une ou l’autre des vallées qui serviront bientôt au transit nord-sud.
Ensuite de quoi, ce sont 60 km de vraie jungle qui nous accompagnent de part et d’autre de la formidable saignée que constitue le tracé bétonné. Absence totale d’activité humaine hors du tracé lui-même. Sans localité, ni lieu d’approvisionnement, nous avons été bien inspirés de prévoir notre réserve de fruits, en plus de nos éternels crackers de secours et de notre stock d’eau potable. Une fois redescendus de la montagne, la plaine s’apparente en réalité à un vaste tapis de cartons d’œufs : succession ininterrompue de petites bosses et de petits trous où la route ne cesse de monter et descendre. Si l’on y ajoute l’alternance entre moiteur et averses tropicales, cette étape n’avait rien d’une promenade de santé. Au bout de 100 km, le premier village, Sungai Koyan est donc l’étape obligée pour fêter notre retour dans la civilisation (entendez : les palmeraies), accueillis par notre cinq ou sixième douche tropicale du jour, la plus grosse.
Faute d’hôtel, nous serons baladés par un sympathique Pakistanais à moto à la recherche de son ami. Une fois celui-ci trouvé à la sortie de la mosquée, il nous logera généreusement chez lui, dans la remise, moyennant que nous l’écoutions nous raconter sa vie, le CV complet de ses neuf enfants et ses projets (à 78 ans !) de transformer sa maison en chambre d’hôtes… le tout pendant que nos loustics faisaient les 400 coups avec les enfants du voisinage… autant dire que nous n’avons pas eu trop de peine à trouver le sommeil une fois couchés !
Deux étapes supplémentaires à travers les palmiers sous une chaleur étouffante – nous savons désormais ce qu’est véritablement le climat tropical – nous mènent à Jerantut. Les routes décrivent d’incroyables détours à travers palmiers, collines et vallées, en se gardant bien de suivre ce que l’on aurait pu imaginer être la voie la plus naturelle pour un axe de communication comme le long de la rivière par exemple. Si les palmiers ont remplacé la jungle, les montagnes russes s’intensifient. Visions d’horreur à chaque sommet atteint : nous avons à nos pieds une descente abrupte et en face, la remontée du mur suivant dans la foulée ! Mais ne nous plaignons pas car en poussant nos vélos, nous effectuons souvent les ascensions plus vite que les camions surchargés de teck ou encore les vieux Indiens poussant leur bécane dont le moteur grillé vient de rendre l’âme… sourires empreints d’empathie en se croisant. Entre forçats, on se comprend !
Tchou Tchou
Jerantut, nous voilà… Un peu pressés par le temps et pour dire vrai, ayant eu notre dose de jungle pour un moment, nous tirons une croix sur la visite du parc national de Taman Negara sans regret.
Le « jungle train » sera notre prochaine aventure. Une loco vapeur et deux wagons aux portes toujours ouvertes (tenez vos enfants !), rien de tel pour s’économiser trois jours de vélo à travers les palmeraies. Pas le temps de pétouiller, il est à l’heure et reste deux minutes chrono en gare.
Nous passons donc une demi-journée dans un tape-cul qui roule bien assez vite par rapport à l’état de la voie. Pas grand monde, on prend nos aises ou plutôt, on case tout notre barda comme on peut dans l’arrière du train. Le paysage défile et – à part les rails eux-mêmes – c’est beaucoup plus horizontal que les régions traversées ces derniers jours. A l’arrêt dans une petite gare de campagne, nous restons en rade pendant que les deux mécaniciens et le contrôleur vont, sans se presser, faire leurs emplettes au marché du village et reviennent s’asseoir sous un cocotier au bord de la voie pour faire leur pique-nique. Nous attendons de croiser un train en sens inverse et c’est le seul endroit où la voie soit dédoublée. Une heure plus tard, arrive une même loco à vapeur que la notre, traînant de vieux wagons japonais bleus qui portent encore la pancarte de leur dernière destination avant leur seconde vie en Malaisie : Nagasaki !
Nous pouvons repartir et arrivons une heure plus tard à Gemas, une drôle de ville entre palmeraies et friches, qui ne semble avoir de raison d’être que pour sa gare. La toute nouvelle est d’ailleurs en phase d’achèvement pour remplacer la vieille « stesen » en bois, assurément indigne de ce nœud ferroviaire où se rejoignent la ligne occidentale en plein lifting et la « jungle railway ». Les hôtels étant trop pourris ou trop chers, nous décidons à 15h00 (après dîner) de rouler un peu, le temps de trouver un logement digne de ce nom. Ce sera Tampin, 56 kilomètres plus loin, où nous arriverons à la nuit tombée. Pas mal pour une étape de vélo entamée en milieu d’après-midi ! Nous ne ferons qu’une nuit dans cette sympathique petite ville, car la mer nous attend.
Entre migrateurs…
Repas au resto indien où, coïncidence, nous nous trouvons dans le quartier où les hirondelles ont choisi de se réunir avant d’entamer leur migration de printemps au nord. Ces sympathiques volatiles n’ont qu’un défaut : une fois alignés par centaines sur les câbles électriques, ils ont tendance à laisser se relâcher la musculature de la partie postérieure de leur corps. Ultime effort du jour, nous devons donc déménager de la terrasse du restaurant, afin de sauvegarder l’intégrité et la saveur de notre double portion d’excellents « roti canai ».
Ce soir-là, la présence des hirondelles nous ouvre les yeux sur un détail piquant : depuis notre départ de Chine, nous voyageons ensemble, avec elles. Nous les avons suivies dans tous les pays que nous avons traversés et, l’idée – aussi triviale soit-elle – que notre périple s’apparentait aux migrations d’un oiseau commun à nos contrées ne nous avait jamais effleurée… C’est maintenant chose faite et nous avons décidé que la prochaine fois que nous ferions Pékin-Sydney, ce ne serait pas en pédalant, mais en volant.
Retour sur la côte ouest
Trêve de plaisanteries, nous disions que la mer nous attend et dès le lendemain, nous attaquons une nouvelle tranche de palmeraies et de plantations d’hévéas – on les avait oubliés ceux-là – pour rejoindre Port Dickson, sans doute la ville touristique la plus moche de Malaisie. Comme nous sommes motivés et que nous trouvons un peu de fraîcheur sur la route du bord de mer en début de soirée, nous laissons de côté motels et resorts de luxe et prolongeons l’étape d’une vingtaine de km jusqu’au Cap Rachado, où nous nous offrons enfin une vraie pause dans un resort du même nom et à portée de notre bourse. Cette péninsule était l’un des points névralgiques pour contrôler le détroit de Malacca et les Portugais y ont, dès leur conquête de ces territoires, installé tour de surveillance et phare. Actuellement, aussi loin que porte le regard, c’est une procession ininterrompue de cargos qui traverse ce bras de mer reliant la mer de Chine à l’océan Indien.
Après la piscine, l’excursion terrestre. Une fois passé le parking du dernier hôtel de luxe, la petite route traverse la forêt tropicale où une très belle montée nous mène au phare. C’est le lieu privilégié pour l’observation de toutes sortes d’oiseaux migrateurs, en particulier de grands rapaces. Nous avons d’ailleurs de nouveau pu observer quelques magnifiques spécimens d’aigles de mer dans les parages. Le reste de notre temps, pendant les deux jours passés sur place, s’est partagé entre farniente, piscine et petites incursions sur la plage.
Pour rallier Melaka, deux nouvelles étapes campagnardes traversant villages de pêcheurs, jolies maisons traditionnelles en bois et diverses plantations seront nécessaires. La halte intermédiaire à Tanjung Bidara nous offre une avant-dernière fois l’occasion de faire faire un peu de natation à Léon et Eugénie avant l’Indonésie.
N’appréciant guère l’atmosphère un peu snob et froide de l’établissement, nous avons préféré nous éloigner un peu de la mer (non sans avoir admiré le très beau coucher de soleil) pour aller manger local dans le petit bouiboui du coin, tenu par une brochette de mamies rigolotes. Nous serions bien restés plus longtemps à Tanjung Bidara pour la piscine et la vue sur la mer, mais les tarifs un peu abusés de notre ultime pied à terre balnéaire nous donneront finalement l’impulsion nécessaire pour tirer jusqu’à Melaka.
Avant-goût de Melaka
Melaka, comptoir portugais, puis hollandais et britannique, où la fusion des modes culinaires locaux avec ceux des immigrants chinois et Indiens a donné naissance à la cuisine nyonya (réflexions générales et culinaires sur la Malaisie suivront).
Voilà un endroit qui paraît idéal pour terminer en beauté notre séjour en Malaisie, avant de traverser le détroit pour l’île de Sumatra, pas (c’est ainsi que la grand-maman paternelle de Laure aurait conclu) ? Embarquement le 15 mars, souhaitez-nous bonne croisière !
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Une semaine à Penang
Écrit par Famille Carrard | 06/03/2013 16:42Georgetown
L’île de Pulau Penang est un des hauts lieux du patrimoine architectural colonial en Malaisie. La partie côtière du chef-lieu Georgetown, longeant les quais à l’est et au nord de la ville, constituait le quartier colonial lui-même où se dresse encore aujourd’hui tout l’appareil monumental britannique avec les tours-horloge, divers palais et gros bâtiments administratifs. On y trouve également le fort Cornwallis, premier comptoir fortifié au XVIIIe siècle, ainsi qu’églises et musées.
Le long de la côte est, entre les terminaux des ferries et autres installations portuaires, un étonnant villages de pêcheur sur pilotis s’avance sur la mer. Nous sommes chez les Jetty, une communauté chinoise qui a la chance d’avoir son village classé à l’Unesco (les critères ne doivent pas être les mêmes que pour Lavaux…).
Au gré des marées, ils sont tantôt entourés d’eau, tantôt au milieu d’une vase nauséabonde où prolifèrent crabes, périophtalmes (les fameux poissons amphibies que les enfants appelaient « tritons traités » à Ko Phayam) et d’où émergent une multitude d’épaves de navires : assurément un chouette terrain de jeu pour les futurs archéologues.
Tout le vieux centre populaire se partage entre les quartiers indien et chinois, truffés de maisons à portiques et façades à moulures ; on y découvre également une ribambelle de temples surtout dans les styles chinois souvent très colorés, où l’on peut déambuler librement, ce qui n’était de loin pas le cas en Chine !
Les temples hindous ou les petites mosquées des communautés indiennes musulmanes ajoutent encore leurs couleurs à cette ville étonnante. Le reste de Georgetown appartient davantage aux Malais musulmans, avec encore des petits quartiers de style colonial disséminés entre parcs et centres d’affaires.
Entre cyclos
Ricky et Kimi, le couple de Malaisiens chinois rencontrés sur le ferry nous ont présentés à d’autres cyclos sympathiques et nous avons fait tous ensemble notre tour de la ville (enfin surtout des quartiers chinois). Alain, de Valence, fait un peu le chemin inverse du nôtre et remonte vers la Thaïlande. Toujours de bonne, d’une patience incroyable et adorable avec les enfants, il a eu particulièrement de succès avec Eugénie ! Satoshi, un cyclo japonais très sympa à la barbe fleurie pourrait quant à lui bien nous rendre visite en Suisse dans quelques mois…
Quant à Ricky, son crédo est qu’on peut aller à vélo absolument partout, en respectant les signalisations et règles de circulation, s’il vous plaît ! Nous nous sommes donc retrouvés à faire un tour de ville épique que nous aurions pu raccourcir de moitié à pied, à cause des interdictions de circuler, de tourner à droite, des bermes centrales sur les grands axes etc… de notre point de vue, Georgetown n’est pas vraiment une ville pour les cyclistes et nous avons donc ensuite décidé de laisser souffler nos montures quelques jours, sauf pour des excursions hors de la ville.
Nouvel-An chinois
Pour ceux qui s’étonnent que nous revenions sur le sujet du Nouvel-An Chinois (NAC), alors que nous en avons déjà parlé dans deux articles précédents, il faut bien avouer que nous avons eu l’impression de baigner dedans depuis plusieurs semaines et qu’au moment d’écrire ces lignes, nous ne sommes pas certains que ce soit terminé. Si le Nouvel-An occidental dure du 31 décembre au 1er janvier, pour le NAC, au contraire, ça doit plutôt être du 1er janvier au 31 décembre…
Rendez-vous était pris avec nos amis Ricky, Kimi et Alain pour voir ensemble les festivités du NAC. Nous avions tout de suite annoncé la couleur à Ricky : pour nous ce serait à pied, hors de question de prendre les vélos dans la foule, ça tombe sous le sens. Nous avons donc passé toute la soirée à pied, affublés de Kimi et Ricky fendant la foule avec leurs vélos, ce qui finalement était bien utile, puisqu’on pouvait poser les enfants fatigués sur le porte-bagages…
La fête elle-même commence par les danses des dragons, avec des rythmes de tambours endiablés qui se marient de manière étonnante avec les chants du muezzin appelant à la prière du soir. Ensuite scènes de fête dans les rues, où stands de nourriture, spectacles de quartier ou grande scène rivalisent d’imagination avec les charlatans en tous genres pour attirer le badaud. Difficile de trouver où s’asseoir pour croquer une morce et c’est finalement dans les petits bouibouis près du port que nous parvenons à poser nos fesses sur des caisses de bières, faute de tabourets. Pour la fin de soirée, nous faussons compagnie à nos amis cyclistes sino-malaisiens pour pouvoir errer plus librement à la recherche d’un dessert avec Alain. C’est tout de même un peu moins speed…
Espaces verts et leurs occupants (jaloux)
Pour nous mettre un peu au vert dans cette fourmilière multicolore, nous nous sommes lancés en quête de verdure. Une très belle place de jeux au bord de la mer semblait être parfaite pour laisser nos deux terreurs se défouler, mais les corbeaux (un nombre presque affolant en ville) en ont décidé autrement. Très nerveux, l’un d’eux est même venu donner un coup de bec sur la tête d’Eugénie. Plus de peur que de mal, mais ça nous a quand même un peu refroidis. Nous n’aurions pas été surpris de voir Hitchcock traverser le parc !
Plus sympa en revanche, l’excursion au jardin botanique constituait un joli but de balade à vélo et l’occasion de voir encore quelques beaux temples hindous sur la route. Si en soit il n y a rien de passionnant à visiter, sortir du brouhaha urbain et se promener dans la verdure nous a offert un bon bol d’air pur, dès lors qu’on arrivait à trouver un peu d’ombre. Parmi les occupants, papillons, varans et singes : des langurs, très jolis singes à lunettes qui ressemblent à des peluches et vivent tranquillement leur petit bonhomme de vie sans se soucier le moins du monde des humains.
Sinon, on trouve comme partout depuis la Chine les éternels macaques, plus démonstratifs. Léon n’a d’ailleurs pas manqué de décrire avec la candeur propre aux enfants une situation saugrenue en désignant un mâle en pleine excitation tentant de s’accoupler avec sa femelle, apparemment plus intéressée par une vieille pomme trouvé dans une poubelle publique : « Regardez, il essaie de lui piquer son bout de pomme ! ».
Nous avons encore fait une autre balade sur la colline de Penang, la montée en funiculaire constituant déjà une part importante de l‘attrait de la visite. Du sommet, où trônent temple hindou, mosquée et une petite volière, on embrasse toute l’île, la ville de Georgetown avec ses buildings et hôtels de luxe qui essaiment le long de la côte nord et le pont autoroutier qui relie l’île à la terre ferme.
Enfin, la petite journée bord de mer n’avait pas la saveur des plages thaïlandaises, à cause de la pollution et de la multiplication des sports fun pratiquement sur les rivages. Plutôt que d’admirer quelques décérébrés frimant sur leurs jet-skis, nous avons préféré rester le nez en l’air à admirer la valse lente de trois aigles de mer.
Pas seulement des vacances…
L’arrêt d’une semaine à Georgetown n’a pas été consacré qu’au tourisme, loin de là. Parmi les multiples choses à régler, nous avons profité de cette escale pour faire nos visas indonésiens. Malgré de nombreuses questions au consulat, notre demande a été acceptée et nous avons obtenu le précieux visa de 2 mois que d’autres voyageurs rencontrés se sont vus refuser à la capitale. Dans ce genre de situation, on se dit simplement : Yeeee !!! Il y eut aussi un peu de bricolage sur les vélos. Nous avons ainsi changé les chaînes que nous traînions depuis le Laos et les pneus de la remorque, avant de devoir rouler directement sur la chambre à air.
Laure a dû faire soigner une infection à une cheville pour pouvoir continuer le voyage avec nous : on pédale mieux avec deux jambes qu’avec une seule… Côté esthétique, la crinière de Léon le lion avait sérieusement besoin d’être raccourcie en prévision de la chaleur tropicale !
Mais ce n’est pas tout, il fallait repenser notre itinéraire. La ligne de ferry entre Penang et Sumatra n’existant plus, la nouvelle option consistait à descendre jusqu’à Melacca au sud de Kuala Lumpur. Notre boucle initiale en Malaisie n’avait donc plus de raison d’être (cf. itinéraire prévisionnel). Nous avons gardé la première partie du tracé en direction des Cameron Highlands. Le but de la manoeuvre : trouver un peu de fraîcheur en montagne, éviter la côte ouest très industrialisée et surtout ne pas mettre une pédale à KL !
Prêts et retapés, nous nous levons tôt au matin du 7ème jour bien décidés à atteindre Melacca autour du 10 mars et prenons congé une seconde fois de Carole et Alain, nos compatriotes rencontrés à Ko Phayam, qui sont arrivés à Georgetown peu après nous.
Et O’Malais dans toute cette histoire ? Nous l’avons perdu avant même de savoir ce qui était arrivé à sa queue. Vous suivez ?
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« Welcome to Malaysia ! »
Écrit par Famille Carrard | 27/02/2013 16:09Pédales douces en Malaisie jolie
Nous sommes entrés le 10 février dans ce nouveau pays pour lequel – il faut bien l’avouer – nous ne savions pas du tout à quelle sauce nous allions être mangés. Quid du multiculturalisme ? Comment nos tenues sportives légères allaient-elles être considérées en pays musulman ? Le climat, la chaleur… on se rapproche dangereusement de l’équateur et nous arrivons alors que la mousson n’est pas encore tout à fait terminée… beaucoup de questionnements, quelques inquiétudes, mais surtout une grande soif de découverte et de nouveauté. Lors des deux dernières semaines en Thaïlande, l’arrivée prochaine dans un nouveau pays occupait une part importante de nos discussions. Pas un jour sans que les enfants ne nous lancent sur le sujet : « Demain on est en Malaisie ? », « Derrière la montagne c’est la Malaisie ? ». Papa, on est déjà en Malaisie ? ».
Nous y sommes sans coup férir. Passés la montée au poste frontière, les foules sur la route au marché du dimanche et un tampon vite envoyé avec le sourire par le douanier, on attaque la descente. Ou du moins le croit-on : à peine parcourus 5 km presque sans donner un coup de pédale, une ligne droite de 2 km commençant en faux plat montée puis, se redressant, fonce droit sur une montagne. La contournerons-nous par la gauche ou la droite ? On passe par-dessus pardi ! Voici donc 300 m de dénivelé particulièrement ardus : ça monte raide et surtout, à part quelques brefs coups de cul en Thaïlande, nous n’avions plus connu de vraies montées depuis le Laos, il y a plus de trois mois. C’est parti pour un bon dégrippage des articulations. Heureusement, nous effectuons la montée le matin et côté ubac.
En arrivant en haut, nous nous félicitons de ne pas avoir fait le même trajet dans l’autre sens : en plein soleil et deux fois plus raide, ça donne presque le vertige ! Devant nous s’ouvre une vaste vallée plate avec au milieu le lac Timoh Tasoh et quelques pics calcaires émergeant çà et là. Après le lac, Kangar et à une quarantaine de km à vol d’oiseau, le détroit de Melaka.
Nous descendons prudemment et faisons notre première halte près d’une terrasse au bord de la route entre deux palmeraies, accueillis par deux hommes qui nous invitent à nous asseoir, tout en nous informant que normalement c’est fermé, Nouvel-An chinois oblige ! Tiens, le populo de base parle anglais en Malaisie !? Ils nous servent des limonades halal (avec un goût de sirop contre la toux), puis des cafés. Finalement, c’est déjà pas mal pour un bistrot fermé, non ? C’est ça la Malaisie, sourire, gentillesse et envie de rendre service semblent être innés. « Welcome to Malaysia ! » Nous l’entendons plusieurs fois par jour et ça fait chaud au cœur.
Le reste de l’étape, nous tirons sur Kangar, petite capitale de province où nous découvrons le premier défaut de la Malaisie. Pour le logement hôtelier, il faut compter un peu plus qu’en Thaïlande pour un standard nettement moins bon ; à qualité équivalente, c’est en moyenne 1.5 à 2 fois plus cher. Il faudra s’y faire et adapter notre train de vie, ce qui n’est finalement pas trop difficile puisque Frédo va dans un même temps fortement réduire sa consommation de bière (les Musulmans ont pensé à tout pour nous aider !). La seule marque locale n’est pas terrible et les bières d’importation hors de prix. Nous nous rattraperons sur les innombrables déclinaisons de jus de fruits frais, thés et cafés !
Nous décidons de poursuivre en direction d’Alor Star en espérant nous arrêter dans un « homestay », dès lors que nous en avons croisé plusieurs fois dans la journée ; au passage, nous tournons un peu en rond en suivant des panneaux indiquant des hôtels largement au-dessus de nos moyens.
Rencontre
Un peu empruntés, nous sommes plantés à un carrefour à nous demander quelle route prendre. Une voiture familiale s’arrête, le visage d’une jeune femme voilée tout sourire et s’exprimant dans un anglais parfait nous demande si nous cherchons bien un logement pour la nuit et nous invite à la suivre. Pas le temps de poser 36’000 questions, nous suivons la voiture, rejoignons grande route, feux, files de présélection, perdons la voiture, la retrouvons dans la file… Une semi-autoroute sur 10 km à 20 à l’heure sur la bande d’arrêt d’urgence à la poursuite de la voiture, deux échangeurs et quelques croisements plus loin, nous arrivons dans le campus universitaire de l’Université de Kuala Perlis. Nous pouvons enfin faire les présentations : Ummi est chercheuse à l’université et également chargée des logements pour étudiants du campus. Elle peut ainsi nous loger gratuitement dans une maison actuellement libre; son mari Dino est employé par un journal anglophone. Ils ont trois enfants et l’aînée de 9 ans s’exprime déjà parfaitement en anglais.
Nous passons une soirée sympa avec Dino et les enfants. Invités dans un restaurant malais typique, nous n’avons pas pu sortir notre porte-monnaie, hospitalité musulmane oblige.
C’est aussi l’occasion de découvrir la diversité et quelques étrangetés du pays. Nous mangeons dans un restaurant musulman traditionnel, familial. Les hommes portent le fez et les femmes le voile, ce qui semble traduire des mœurs et des valeurs plutôt « conservatrices ». Au service, un ladyboy sexy et outrageusement tape-à-l’œil fait également partie du staff et tout le personnel a l’air à l’aise comme ça. Nous demandons à Dino ce qu’en pensent les Musulmans et il nous répond qu’il n y a pas de problème, les Malais sont habitués à la diversité. C’est ça la Malaisie et ceci, malgré un discours politique officiel très anti-déviants sexuels… en Occident, c’est le contraire : on a un discours officiellement plus souple vis-à-vis du troisième sexe ou de l’homosexualité, mais dans la pratique, à part dans les bars gays, y a pas beaucoup d’entreprises qui embaucheraient des transsexuels…
Ça cogne dur dans les rizières
Nous quittons nos nouveaux amis au petit matin pour poursuivre notre route vers le sud. La plaine côtière est parcourue par d’interminables routes toutes plates et droites traversant des villages-rues et des rizières : les états du Perlis et du Kedah sont à juste titre considérés comme les greniers à riz du pays. Routes peu ombragées, à part lorsque nous pouvons prendre des petits sentiers parallèles longeant haies et palmeraies.
Sous un soleil de plomb, il ne faut donc pas se montrer chiches avec la crème solaire et les pauses pour se rafraîchir – une impressionnante panoplie de thés glacés aux noms les plus exotiques – rythment les trajets. La mousson est-elle bien terminée dans la région ? Rien n’est moins sûr, comme nous aurons l’occasion de le vérifier…
Alor Star
Nous arrivons à Alor Star, capitale provinciale où les Chinois occupent en principe le haut du pavé en matière de commerce. Pas étonnant donc que leur quartier – toute la moitié ouest du centre-ville, en particulier le secteur historique colonial – fasse un peu ville-fantôme, en cette période de vacances (pour quoi déjà ?).
La partie moderne du centre-ville est particulièrement moche, les rares bâtiments anciens étant noyés sous un magma de béton et de buildings à catelles hideux, mais c’est là que nous trouvons l’atmosphère la plus vivante et la plus authentiquement malaise.
Au marché, nous nous essayons avec plus ou moins de bonheur à toutes sortes de spécialités culinaires, la palme du rigolo revenant aux fameux « ais kacang ».
Hormis la visite du vieux quartier commerçant chinois, le centre-ville est digne d’intérêt, avec tout l’apparat monumental colonial et une très belle mosquée.
La principale attraction pour les enfants, c’est principalement la tour d’où on domine toute la ville et la fête foraine – le « carnaval » musulman – à ses pieds : musique folklorique et hamburgers halal font partie de l’ambiance très populaire.
En route pour Penang
Après deux jours de pause bien mérités, nous attaquons encore deux étapes ensoleillées. La première nous fait traverser les rizières par des petites routes campagnardes, puis une petite montée pour arriver sur le versant humide de la côte occidentale de la péninsule.
A la sortie d’un virage, un monsieur en fez nous fait signe de nous arrêter avec beaucoup d’insistance en se plantant devant nous. Nous freinons pour éviter l’accident en ronchonnant. Le sourire revient rapidement, il se présente comme un cycliste, il a lui-même traversé tous les pays d’Asie du sud à vélo. Séance photos, dix minutes d’interview saisies avec son appareil photo ; photos souvenirs avec son épouse qui tente de réfréner un peu les ardeurs de son mari.
Finalement, nous nous faisons inviter à boire un lait de coco chez un marchand de fruits un peu plus loin. Il nous offre encore deux kilos de bananes et des salak, drôle de fruit à peau de serpent et dont la chair ressemble extérieurement à une gousse d’ail. Il est tellement enthousiasmé par notre équipée que son enthousiasme déborde sur le marchand qui nous offre encore un kilo de bananes supplémentaires et deux noix de coco à l’emporter…
Nous devons néanmoins prendre congé et terminer l’étape jusqu’à Sungai Petani, lieu où nous rencontrons Peter, un cyclo danois. Nous passons la nuit dans un hôtel particulièrement pourri et c’est donc sans aucune peine que nous arrivons à démarrer aux aurores pour terminer notre voyage vers Penang.
Cette ultime étape avant notre grosse pause insulaire nous conduit à Butterworth (la ville qui compte pour beurre dans les circuits touristiques), où une imprécision de signalisation pour le ferry nous mène sur l’autoroute. Bien nous en a pris, puisque nous avons une trois voies rien que pour nous, avec une bande latérale de 3 m de large. Après un gros mic-mac d’échangeurs, nous sommes tout de même soulagés d’arriver au terminal des ferries, dont l’accès n’est absolument pas prévu pour les vélos. Sur le ferry, nous rencontrons Kimi et Ricky, un couple de cyclos malaisiens chinois, qui nous guident au centre-ville – moyennant présentation avec leurs amis, arrêts pour discuter, visite de différents hôtels etc… Nous faisons grâce à eux la connaissance d’autres cyclos, comme Alain le Français et Satoshi le Japonais. Quant à notre pied à terre pour une semaine, ce sera le Noble Hotel dit le « cimetière d’éléphants », un étonnant vivier de routards sédentarisés plus ou moins originaux !
La ville de Georgetown, que nous avons quittée le 22 février au matin, vaut à elle seule un article. Il faudra patienter pour connaître les aventures de O’Malais le chat de gouttière à Qkc…
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