Aventures en famille

Du Yangtzé aux montagnes du Hunan, un petit air méridional

Écrit par Famille Carrard | 21/08/2012 – 07:47

Le transfert en bus de Xian à Yichang, quelques centaines de km plus au sud, promettait de belles émotions. Nous avons d’ailleurs fait part de nos inquiétudes précédemment. Finalement, la première grimace passée, moyennant un peu de sueur, de cambouis sur les mains et 200 yuans de bonne main à un aide-chauffeur – dans les bus chinois, il y a toujours un certain nombre de personnes gravitant autour du chauffeur qui prétendent faire partie du personnel – tout était arrangé. Le confort des bus couchettes n’est évidemment pas idéal et il ne faut pas être trop regardant à l’état des draps (ou être habillé de long, ce qui n’est pas une évidence à Xian,+36°C début août…). On s’est donc entassés entre deux lits et les couloirs : les enfants ne payent pas, mais ils n’ont pas leur propre couchette et on ne peut pas les faire passer pour des adultes ; après, pour les places en rab’, ça dépend si le bus est plein ou pas.

Finalement, après quelques éclats de voix à faire la police et un arrêt repas sur lequel nous ne nous apesantirons pas, toute la famille a pu dormir, de manière à être frais et dispos – ou presque, Laure n’est pas du même avis 😉 – à notre arrivée à Yichang à 4h00 du matin, après douze heures de bus.

Contre toute attente, l’ambiance à la gare des bus en pleine nuit est plutôt bon enfant : une kyrielle de gens attendent le bus à cette heure et tentent d’engager la discussion. Frédo transpire avec son tournevis tout en expliquant notre trajet sur la carte à une bande de papys qui ergotent sur la fabrication de nos engins : « est-il possible que ces véhicules soient fabriqués en Chine ? ». Eugénie chante, Laure filme et Léon fait sa star sur le tandem.

A 5h00, départ ! On roule jusqu’au petit jour pour sortir de la ville, avant de faire notre désormais traditionnel arrêt pour acheter biscuits, lait et cafés dans une station service avant d’aller poser nos fesses sur les rives du Yangtzé. Le soleil se lève sur un viaduc titanesque qui enjambe le fleuve, les péniches et les petits vieux qui jettent leur filet depuis les rives dans l’eau beigeasse dans l’espoir d’en extirper une carpe encore mal réveillée.

Sinon c’est le défilé des matinaux : joggeurs qui se détendent avant la journée de bureau, employés « Sinopec » qui attendent que soit terminé le plein de leur péniche, vieux qui vont faire leur taïchi, mamys qui dansent en courant et autre nunuche qui promène son caniche customisé au moyen d`une paire de barrettes à nœuds roses en guise de boucles d’oreilles (véridique, mais pas eu le réflexe de dégainer l’appareil photo à temps !).

Mais la route nous attend et c’est sous une chaleur étouffante que nous continuons notre périple, en partie le long du Yangtzé et de ses industries riveraines, puis dans une belle campagne pleine de collines et de briqueteries/tuileries artisanales dès qu’on s’en éloigne.

Le changement de décor avec ce que nous avons vu précédemment est flagrant : le Hubei et le Yangtzé, c’est le sud ! Les plantations de maïs sont progressivement supplantées par de petites rizières et des champs de coton. Les vergers de pommiers et pêchers  laissent place aux orangers ; le long des routes ce sont des alignées de lauriers roses qui nous gratifient parfois d’un peu d’ombre bienvenue. Dans les basses terres, de grandes plantations aquatiques – il s’agit bien de champs immergés, à l’image des rizières – sont couverts de lotus aux fleurs blanches ou roses. Çà et là, des buffles pataugent nonchalamment dans de grands étangs.

Les étapes s’enchaînent et les changements de paysages dépendent surtout des divagations de la route entre les collines et la gigantesque plaine alluviale du Yangtzé, plantée de vignes.

Nous décidons de faire deux jours de pause à Jingzhou, où nous trouvons un hôtel tout neuf pour vraiment pas cher et avec un super accueil : le meilleur rapport qualité-prix à ce jour.

La ville de Jingzhou est une sorte de Xi’an à taille réduite ; si l’agglomération compte 1.5 mio d’habitants, l’ancien centre historique encore doté de son rempart de brique est excentré et tout son pourtour consiste en une douzaine de km de promenade entre les orangers et les lotus qui couvrent l’espace séparant le rempart des douves ; celles-ci sont encore en eau grâce au détournement ancien de bras du Yangtzé.

 Outre les remparts, très peu subsiste de la grandeur passée de cette ancienne capitale ; le centre modernisé selon un urbanisme « à la chinoise » c’est à dire complètement anarchique, a depuis longtemps effacé toute trace des quartiers historiques. Jingzhou garde néanmoins un côté « petite ville » plutôt sympa : les quartiers d’affaires et leurs gratte-ciels se trouvent en effet dans la nouvelle ville située plus à l’est.

Jingzhou abrite un musée archéologique intéressant, avec l’une de ses pièces maîtresses : une momie de 2’300 ans (qui a de très belles dents, selon Léon), mais, définitivement, pas à visiter avec nos deux girouettes ambulantes.

A l’intérieur des murs, jouxtant le musée, outre un vieux temple, le parc Sanguo d’une cinquantaine d’hectares englobant un immense plan d’eau artificiel est complètement laissé à l’abandon. En fermant les yeux, on peut imaginer l’effervescence des soirées d’été : paillottes, grillades et stands à glaces. Tout ceci est délaissé par les locaux et seuls quelques amoureux et joueurs de cartes ou de majong viennent s’y délasser, alors que des touristes suisses à la recherche de glaces tentent vainement de faire le tour des digues (le lac est divisé en cinq parties par des digues reliées par des petits ponts à escaliers) avec leur vélo bizarre. Ce calme est à la fois très reposant et effrayant, comme si la ville autour était totalement abandonnée.

Quitter Jingzhou est aussi une expérience particulière : le seul pont qui enjambe le Yangtzé, large ici de 2.5 km, est une autoroute ; les suivants en amont et en aval se trouvent à une centaine de km (à Yichang pour l’amont) et nous n’avons pas réussi à obtenir des informations sur un éventuel bac qui traverserait le fleuve. Bravant l’interdiction (panneau blanc entouré de rouge avec un vélo au milieu : sauf erreur ça doit vouloir dire la même chose que chez nous…) nous nous engageons à la suite d’un couple de petits vieux poussant son vélo trois-roues, des motos électriques et autres « pèt’-pèt’ ». Bonne surprise : ça roule plus peinard que sur certaines routes secondaires ; il y a relativement peu de circulation et c’est spacieux, on s’offre donc même le luxe de s’arrêter faire des photos et un film.

Après l’épreuve du pont, faute de localité importante à une distance d’étape « standard » (i.e 50-70 km), nous décidons de camper, ce qui est un défi à part entière ; nos tribulations hors des grandes routes nous mènent à travers champs dans un monastère bouddhiste où nous nous faisons inviter pour souper, mais où il ne nous est pas possible de passer la nuit.

C’est donc à la tombée du jour – le pire moment, celui où les moustiques sont les plus voraces – que nous trouvons finalement un bout d’herbe à plat  à l’abord d’une digue. Eugénie avait bien eu une super idée d’endroit plat peu auparavant, mais nous avions dû y renoncer : « Là on peut monter la tente, c’est plat ! » s’était–elle écriée en désignant fièrement le milieu de la route nationale… Nuit étouffante et démangeaisons nous ont vacciné contre le camping pour un moment, mais avec le recul, c’était un petit défi enrichissant.

En entrant au Hunan, nous arrivons dans des terres de plus en plus vallonnées, mais suivons encore pendant deux jours les cours d’eau pour éviter de faire trop de montée.

Après Shimen, les paysages deviennent plus sauvages : les routes quittent parfois le fond des vallées et semblent s’être improvisé un tracé dans le relief au gré de leur humeur. Entre les petits villages, de minuscules champs en terrasse  laissent parfois apparaître de petites maisons en terre construites en hauteur : il s’agit de séchoirs à tabac, culture reine dans la région. Les forêts mixtes où croissent déjà quelques espèces des milieux subtropicaux – çà et là un bananier ou un palmier – recèlent d’innombrables variétés de papillons.

Etonnamment, peu de pittoresque dans l’architecture locale, où les fermes en brique de terre crue ou cuite ont été remplacées par les maisons rectangulaires à façade en catelles. Parmi les particularités du bâti, de grandes entrées à grilles en inox semblent être une spécialité de la région, alors que les demeures des plus nantis se signalent par le nec plus ultra d’un style occidentalisant semble-t-il très à la mode dans le nord du Hunan : le porche à colonnes cannelées et chapiteaux corinthiens dorés (j’espère que les archéologues apprécieront ce descriptif typologique clair et concis !).

L’arrivée dans la région de Wulingyuan et Zhangjiajie, dont le parc naturel classé à l’UNESCO recèle d’étonnantes sculptures géologiques et des grottes, nous replonge d’emblée dans l’un des plus détestables travers de la Chine moderne ; les « scenic areas » à tout crin. Ou comment transformer un site naturel magnifique en Disneyland de pacotille, le tout en pressurisant le touriste de masse dès l’entrée (248 yuans = 40 CHF).

Allons-nous céder aux sirènes du consumérisme ? Vous le saurez au prochain épisode…


4 commentaires »

  1. De Anne-Marie Maute le 24 Août 2012 | Répondre

    magnifiques photos.
    Quelle aventure ..
    J’espère que tout va bien et que tout aille aux mieux.
    Bonne route et continuation a vous.

    Bisous
    Grand maman Anne Marie

  2. De Rusterholz le 24 Août 2012 | Répondre

    J’ai adoré lire ce long récit. Vous devez être repus d’émotion, de senteurs et d’images. Merci pour le plaisir ainsi offert à vos lecteurs.
    Micheline

  3. De Anne-Françoise Pahud le 28 Août 2012 | Répondre

    Hello la famille Carrard,

    superbes photos et quels beaux récits des régions que vous traversez. J’espère que tout va bien pour vous. Nous vous souhaitons tout de bon pour la suite de votre voyage.

    Anne-Françoise et Jean-Michel

  4. De Anne-Marie Maute le 29 Août 2012 | Répondre

    Un petit bonjour d’Aigle ou tout va bien et j’èspere pour vous aussi et que vous profitez bien de toutes vos découvertes et paysages.
    Je vous souhaite un bon voyage .
    Bonne continuation.
    Bisous a vous
    Grand maman Anne Marie

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