Aventures en famille

En nage et rage, restons sage…

Écrit par Famille Carrard | 10/04/2013 – 17:47

Nous étions prévenus. Après la parenthèse des petites vacances à Toba, nous serions lâchés dans la Sumatra sauvage et ce serait une autre paire de manches. Départ donc le 20 mars avec des images plein la tête et un petit peu d’appréhension tout de même.

Afin de vous faire partager notre intense quotidien, en voici le résumé jour après jour :

Jour 1

Départ en douceur du Lac Toba, en longeant la côte nord et ouest de la presqu’île de Samosir, entre jolis villages  et rizières. Nous aurions pu en rester là et loger à l’hôtel des sources d’eau chaude près de l’isthme de Pangururan, avant la grosse montée de Tele, mille mètres plus haut sur le rebord du cratère. Sous l’impulsion de Laure qui préfère liquider la montée tout de suite pour que ce soit derrière, nous attaquons l’ascension.

A mi-montée, nous arrêtons une camionnette pour nous hisser jusqu’au plateau supérieur. Incompréhension sur le prix, Tele-chargement à la hâte en deux fois, la caravane s’étant un peu « distendue » en route : résultat des courses, un compteur perdu lors de l’embarquement, coût de la course dix fois plus cher que prévu et pour couronner le tout, notre destination est un petit bled glauque, sans logement. Nous essayons la police, mais serions condamnés à passer la nuit dans un bureau guère plus grand que notre tente avec le flic de garde (antipathique au possible) réveillé et la lumière allumée. En terre chrétienne, nous voulons tenter l’église, mais personne n’est capable de nous indiquer où habite le pasteur du coin. Nous finissons donc dans un local désaffecté et aveugle à l’arrière d’un restaurant pour camionneurs glauquissime tenu par une patronne aussi sympathique qu’un bouledogue. Au moins, ce n’est pas cher…

Jour 2

Lever tôt, on veut déserter au plus vite le resto de la bouledogue. Quelle joie d’attaquer la journée au frais sur les hauts plateaux (1800-1900 m). Décor inattendu sous ces latitudes : petites maisons aux toits de tôle peu pentus, clochers pointus, petits jardins où on fait pousser des patates, friches, pâturages et forêts de conifères (en l’occurrence des pins sylvestres, de près) sur des reliefs assez doux. Un peu plus bas, une large vallée plate est entièrement occupée par une tourbière exploitée par des personnes âgées et des enfants.

Pour la suite, nous redescendons et traversons des vallées aux flancs escarpés couverts de jungle, puis, à mesure que nous redescendons, rizières, plantations de café et humidité sont de la partie. Et comme c’est la mousson, nous héritons de quelques très belles averses en début de soirée. Arrivée soulagés à Tarutung, où nous fêtons symboliquement (c’est approximatif, comme nous n’avons plus de compteur) les 9000 kilomètres devant une borne, sous la pluie avec des cacahuètes…

Jour 3

Jour de repos à Tarutung, où notre principale préoccupation sera de changer d’hôtel, puisque en arrivant de nuit et sous la pluie hier soir, nous avons pris en hâte le plus mauvais rapport qualité-prix de la ville. Journée lessive et trombes d’eau cinq minutes chrono après avoir fini d’étendre : pour le séchage, on a trouvé mieux.

Jour 4

L’étape de la mort dans toute sa splendeur : entre minibus et camions, les soixante premiers kilomètres s’effectuent à la dure sur un relief en dents de scie qui nous coupe littéralement les jambes et sur des routes où les parties goudronnées s’apparentent davantage à des rustines qu’à un revêtement.

Pour égayer l’étape, le cadre campagnard est en revanche très joli : quelques beaux villages aux maisons de bois où églises et mosquées se font de l’œil. D’innombrables petites rizières en terrasse s’accrochent aux flancs des vallées. Une nouveauté : le long des routes s’égrènent caféiers et cacaoyers dans les jardins et en bordure de champs, témoignage de micro-productions. Certaines familles ont moins de 10 arbres à exploiter. Quant à nous, notre avance est freinée à plusieurs reprises par de violentes averses tropicales qui nous obligent à nous abriter sous un porche de mosquée, dans un café ou devant un magasin de cartes sim.

Faute d’hôtel à l’horizon et les locaux étant apparemment peu enclins à loger des étrangers sous leur toit (nous qui avions foi en l’hospitalité musulmane…), nous attaquons un ultime mur en espérant rejoindre Sipirok, 700 mètres plus haut alors que l’après-midi est déjà bien avancé. Quelques coups d’accélérateur seront nécessaires dans certains villages, malgré la pente, pour échapper à des gamins surexcités qui se jettent littéralement sous nos roues ou s’accrochent à la remorque : nous n’avions plus connu ça depuis le Vietnam. A la nuit tombante, exténués et peu rassurés par les trajets de nuit, nous nous arrêtons pour respirer devant un restaurant. Les occupants s’approchent, contact sympa, deux jeunes très gentils parlant anglais nous assurent que nous pourrons dormir ici et profiter des sanitaires. Grâce à la présence d’une source thermale, il y a la douche chaude au baquet ! Nous déstressons directement, commandons à manger, les enfants jouent et font des dessins, nous prenons nos aises en attendant de pouvoir aller nous coucher une fois que les clients seront partis.

A 20h30, retournement de situation : le jeune vient l’air emprunté. Son père (le propriétaire des lieux, que nous n’avons vu que de loin) refuse de nous héberger, nous devons donc partir ! La haine ! Aucune explication ne nous a été donnée, probablement que les jeunes s’étaient trop avancés pour nous faire plaisir et que le paternel, vexé de ne pas avoir été directement associé à l’invitation, a décidé de ne pas nous ouvrir sa porte. Colère, pleurs, incompréhension devant une telle inhumanité, nous repartons les batteries et le moral à zéro sur cette montée en pleine cambrousse, de nuit. Encore 7 km de montée en n’ayant aucune idée de ce qui se trouve après le virage suivant. Le sommet enfin atteint, nous traversons Sipirok où invariablement, la réponse  à notre requête d’hôtel est : plus loin (avec de fortes variations dans l’indication des kilomètres) ; nous continuons encore 5 ou 6 km en terrain vallonné à la seule lueur de nos phares de vélo, sans vraiment savoir où nous allons atterrir et ne sachant même plus si ça monte ou descend. Envie d’étrangler quelques ados qui veulent taper la causette sur leurs motos ou, pire, qui se plantent au milieu de la route en plein virage pour nous regarder passer en rigolant, obligeant les chauffeurs de bus à des dépassements insensés juste à notre hauteur. Plus de peur que de mal, mais là on sature. Ce n’est que deux heures après avoir quitté le restaurant que nous trouverons un resort avec de spacieux bungalows et surtout une baignoire. Bain pour tout le monde à partir de 23h00, dodo à passé minuit. Nous ferons l’économie de la petite histoire avant de s’endormir…

Jour 5

Après l’épreuve d’hier, pas vraiment envie de se stresser, afin de profiter un maximum de la chambre et, surtout, d’un petit-déj’ occidental avec œufs au plat, toasts et vrai beurre !

L’étape du jour sera beaucoup plus tranquille que la précédente : une trentaine de kilomètres, surtout en descente au milieu des palmeraies, cacaoyers et rizières nous séparent de notre objectif du jour. Pour le repas de midi, c’est toujours le buffet indonésien, mais nous décidons de nous essayer à quelques spécialités, comme différents apprêts de poisson un peu plus appétissants que d’habitude.

C’est à Padang Sidempuan, pourtant une ville grise, sale et bruyante, que nous découvrons l’un de nos meilleurs hôtels du voyage : un véritable havre de paix au personnel adorable au milieu de la gabegie ambiante. Nous décidons d’y prendre un jour de repos bien mérité. La seule sortie pour souper le soir de notre arrivée sera d’ailleurs jugée largement suffisante pour prendre la température du centre-ville ; demain, nous mangerons des cordons bleus et frites à l’hôtel.

Jour 6

Jour de repos, mis à profit pour faire un peu de mise à jour internet, photos, etc… et surtout la lessive. Notre chambre est calme et donne directement sur le jardin à l’arrière de l’hôtel, où nous pouvons étendre notre linge. Les occupations de la journée : regarder des cartoons sur l’ordi entre deux coupures de courant, manger des salades d’avocat et boire des jus de fruits, pas mal comme programme, non ? Et pour Laure, skyper en solo plus de 30 minutes avec sa grande copine Kathrin !

Jour 7

Nous reprenons la route, cette fois sur un terrain pas trop accidenté. A part le départ et l’arrivée en ville, nous suivons une belle route de campagne en fond de vallée plate et traversons quelques jolis villages au milieu des rizières. Il fait très chaud et nous suons à grosses gouttes ; pour les lieux ombragés, on repassera ! Comme d’habitude, nous avons le sentiment que l’on nous prend pour des extra-terrestres.

Les locaux ne pouvant s’empêcher d’essayer d’attirer notre attention, nous commençons un petit florilège des meilleures citations: « I love you » de la part d’une sexagénaire en voile musulman à Frédo ; « I miss you » ou « Hello Miss, I dreamed a dream » de la part de jeunes mecs à Frédo ; sinon les « Hello Mister ! » ou « Hello Miss ! » s’adressent indifféremment  à tout occidental, quel que soit son sexe : ça fait partie de la formule !

Comme nous finissons l’étape en forme, nous nous offrons le luxe de traverser toute la ville de Panyabungan aller-retour dans la longueur pour trouver le meilleur hôtel (euh… il y en avait seulement trois, à l’entrée de la ville…) – et du coup, profiter du petit rafraîchissement de l’averse du soir.

Jour 8

Pas de raison de se poser à Panyabungan. Nous reprenons de bon matin par une grosse montée, avec des beignets indigestes dans le ventre. La première pause aura lieu après 7 km. Nous traînons un peu, Léon et Eugénie jouent aux legos, Laure tente de digérer et Frédo papote avec un local très causant et gentil (un peu trop ?) qui veut nous emmener dormir chez lui. Il est 10h30 du matin et nous déclinons poliment l’invitation. C’est absurde que cela arrive en début d’étape et jamais en fin de journée dans un bled perdu loin de tout hôtel… Nous souffrons pas mal dans cette longue montée sous une chaleur étouffante et les arrêts sont nombreux. La traversée d’une série de villages dont la population est quasi entièrement constituée de garçons portant fez et sarong étonne. Il s’agit d’internats religieux et tous ces jeunes logent dans de petites cabanes vertes alignées le long de la route.

Comme nous sommes l’attraction et que chacun y va de sa petite phrase (sympa ou moqueuse, c’est selon), nous pouvons un peu étoffer notre répertoire de citations. Passage du col après un dîner bien mérité, suivi d’une très belle redescente sur la vallée de Kotanopan où nous voyons parmi les plus belles rizières de notre voyage.

Arrivée à Kotanopan, une fois de plus sous la pluie de fin de journée : c’est devenu une sorte de tradition à Sumatra. Il faudra s’y faire, car à ce moment-là, nous ne savons pas encore ce qui nous attend pour la suite… Avant la douche, Frédo se colle au rebletzage de deux chambres à air dans la pénombre : les pannes de courant sont en effet aussi fréquentes que les averses !

Jour 9

Pause à Kotanopan, balade dans cette petite ville pas très jolie, mais entourée de paysages idylliques. Nous découvrons un bistrot tout en bois, rose, où nous aurions aussi pu loger (si Laure avait mieux travaillé son vocabulaire, elle aurait su reconnaître le « penginapan » !). La journée étant pluvieuse, nous attaquons le début d’une longue série des lessives impossibles à faire sécher, ce qui deviendra la règle pour la suite de notre séjour à Sumatra.

Jour 10

Nouvelle étape pimentée par une très belle et régulière montée. Cette fois nous sommes partis aux aurores, avons plus la pêche que lors de l’étape précédente et avons la chance que ce soit ombragé et frais.

Nous voilà donc « déçus en bien » en arrivant au sommet avant midi. Ben quoi ! c’était ça la montée? Dès passage du col, nous sentons que nous passons à un microclimat plus sec sur le versant opposé, où les pins remplacent pour quelques kilomètres la jungle humide. En traversant les villages, nous voyons régulièrement des bâtons de cannelle mis à sécher et de plus en plus souvent des fèves de cacao, picorées par les poulets en stabulation libre. Eh oui, en cette période pascale, nous avons percé le secret de fabrication des œufs en chocolat…

Si on se fait un peu arnaquer au repas de midi, c’est en revanche aussi un moment de partage avec un groupe de garçons rappliqués avec leurs voitures bricolées dans des bouteilles de lessive. Ils font un peu de dessin en notre compagnie avec un plaisir non dissimulé. Dommage qu’ils n’aient pas pris les stylos que leur offrait Eugénie et qu’ils aient conclu par un « money » à notre départ.

A l’arrivée à Panti, nous nous rappelons que c’est Vendredi-Saint en croisant le pasteur de la petite communauté GKBP (Gereja Kristen Batak Protestan) à la sortie du culte. Le reste de la ville est musulman, mais ce jour est férié pour tout le monde. Nous trouvons notre bonheur pour la nuit et c’est seulement là que nous apprenons enfin LE nouveau mot utile pour définir les petits hôtels : « Penginapan ». Nous sommes chez l’habitant dans un drôle de relais pistache à moulures faisant un peu maison de poupées. Ça aurait été parfait, si le gardien n’avait pas roupillé toute la nuit à côté de notre chambre avec la télé à fond…

Jour 11

Départ à 7h30 avec encore 106 km à faire jusqu’à Bukittinggi. A priori, deux grosses journées difficiles, vu les reliefs qui s’annoncent pour le dernier bout et une météo de plus en plus capricieuse. Nous partons tôt, à fond, malgré les averses intermittentes et la moiteur.

Rythme effréné jusqu’à notre pause de midi, commencée à 10h45 à notre arrivée à Lubuksikaping. Avec de jolis chars attelés pour seule attraction pittoresque, cette ville est bâtie tout en longueur autour d’un grand axe de circulation central. On n’y trouve que des bâtiments publics autour d’une rue pourrie bordée de trottoirs surdimensionnés. C’est l’Indonésie à l’envers… Mais où habitent les gens ?

Le repas est costaud : il s’agit du buffet indonésien connu sous le nom de « Padang food », où l’on nous apporte tout l’assortiment sur table dans des petits bols. Paniqués de devoir tout payer, nous stoppons les ardeurs de la serveuse, mais apprendrons par la suite que seuls les bols touchés sont facturés. Ah… ça fonctionne comme ça ? Quelques essais poisson, viande séchée (faut avoir les dents solides !), poulet frit dans une pâte à beignet croustillante et la découverte qui sauve nos repas lorsqu’on en a ras-le-bol du riz : les « pergedel », sortes de croquettes de patates et oignons, excellents !

Un dernier coup de cul à la sortie de la ville précède la belle redescente sur la vallée suivante. Nous passons l’équateur à Bonjol et, à notre grande surprise, nous ne ressentons pour l’instant pas de séquelles particulières de nous retrouver la tête en bas.

Contrairement à nos attentes, pas de logement à Bonjol et la suite de la journée s’annonce coton : nous sommes à 57 km de Bukittinggi et avons près de 1000 m de dénivelé à faire. Nous avançons donc jusqu’au dernier gros village de plaine avant d’attaquer la montagne. Pluie, crevaison à réparer, pas de « losmen » ou de « penginapan ». Pendant que Frédo rustine, Laure et les enfants tentent leur chance devant une mosquée. Malheureusement, nous ne sommes pas assez musulmans pour pouvoir y dormir  – d’ailleurs on se demande comment les autres cyclos dont nous suivons les blogs peuvent régulièrement se faire héberger dans les mosquées, car nous n’avons à ce jour rencontré aucun Imam prêt à déroger à la règle.

La solution nous viendra de Daryl, un sympathique monsieur, souriant et à l’anglais parfait qui nous poussera pour les 50 derniers kilomètres de montagne jusqu’à Bukittinggi dans sa camionnette flambant neuve pour un prix très raisonnable.

Première nuit dans un hôtel pourri, mais nous aurons mieux dès le lendemain : le Happy Gusthouse. Dès notre arrivée, nous découvrons immédiatement notre stamm du lieu, le Canyon Café. Spécialités minangkabau et bonne cuisine occidentale, pancakes et bircher pour le matin, prix doux, service efficace et souriant, enfants, wifi rapide : tous les ingrédients sont réunis pour que nous y passions  du temps, la météo n’étant décidément pas au beau fixe.

5 jours à Bukittinggi

Nous déclipons quelques jours, pour nous remettre un peu de nos émotions. Au menu : repos bien sûr, mais aussi une journée sympa avec Camil et Emilie déjà rencontré au lac Toba. Arrivés quelques jours avant nous, ils nous font le tour du propriétaire en nous indiquant où déguster de bons petits cafés, yoghurts, gâteaux au chocolat.

En ville même, nous nous perdons dans les méandres de l’immense marché des produits frais, dans le top ten des plus pittoresques vus du voyage… sur la colline, les marchands de pierres semi-précieuses polissent avec soin leurs trésors sur d’étranges machines bricolées à partir de vieux vélos.

Nous aurons réussi à crapahuter un peu en ville, voir le zoo local – assez déprimant – nous balader dans quelques quartiers plus populaires entre deux averses. Le temps maussade nous a néanmoins imposé des occupations d’intérieur, comme faire « l’école », alors que Ling, la propriétaire de notre guesthouse s’est découvert des talents cachés comme baby-sitter ultra zen et prof de pâte à modeler…

Pas trop chauds pour de grands tours organisés, nous avons préféré prendre les minibus locaux, les « angkot » pour faire des excursions dans deux villages connus pour leur artisanat : bijoux en argent à Koto Gadang, localité par ailleurs remplie de jolies maisons en bois ; sculpture sur bois et tissage à Pandai Sikat. Si nous n’avons pas flashé sur les productions elles-mêmes, la vie campagnarde et l’environnement des volcans perdus dans la brume étaient du plus bel effet. On a même vu des taureaux « suisses » de race Simmental…

Finalement, le muezzin de la mosquée aura eu raison de nous à force de beugler des discours agressifs à 5h du matin, en plus de l’appel à la prière traditionnel. C’est donc avec les oreilles qui sifflent et un certain soulagement que nous quittons la ville le 5 avril en direction du lac Maninjau.

Qu’allons-nous décider pour la suite ? Nous vous laissons quelques jours de répit afin de stimuler votre imagination !


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