A Sumatra, des hauts et des bas
Écrit par Famille Carrard | 03/04/2013 – 08:53Ferry, vélo, bus, minibus, vélo, ferry, vélo : ouf… on y est !
Nous nous attendions à un changement de rythme, de régime et de difficultés en arrivant sur l’île de Sumatra, région beaucoup moins touristique et « occidentalisée » que celles traversées les mois précédents, en particulier la Thaïlande et la Malaisie occidentale. En matière de dépaysement, nous n’avons donc pas été déçus en nous retrouvant dans le bain dès le débarquement sur sol indonésien à Dumai le 15 mars.
Après notre traversée en ferry rapide depuis Melaka, le débarquement se fait dans l’anarchie la plus totale sur un quai trop petit pour contenir les passagers, leurs bagages et les proches venus embarquer tout ce petit monde. Nous avons donc patiemment attendu que ça se décante pour attaquer les formalités d’arrivée à Dumai, ville portuaire sans grand intérêt, polluée et poussiéreuse.
A 13h30, c’est derrière et nous apprenons que vers 18h00, un bus de nuit part pour Prapat, principale ville au bord du lac Toba. Nous allons donc devoir nous occuper une demi-journée dans la ville de Dumai – tout un programme – sous un soleil de plomb, car il n’y a rien à y faire, pas un seul arbre où se mettre à l’ombre et les seuls établissements publics où nous sommes susceptibles de boire un jus sont des restaurants qui offrent tous exactement le même assortiment de poissons grillés (d’avance, pas super appétissants) ou en diverses sauces fortes, idem pour le poulet, le grillé étant le seul pas fort. Le menu type : riz blanc avec poulet grillé sec, généralement accompagnés de trois tranches de tomate et de concombre ; ce premier repas d’une longue série va devenir notre standard de l’Indonésie non touristique. Après avoir parcouru sans nous presser les 5 km qui séparent le centre-ville de la gare des bus, nous y passons l’après-midi à glandouiller et observer la faune qui y zone. Embarquement à la nuit tombante avec notre barda sur le toit du bus et c’est parti pour 18 heures de trajet…
Nous traversons des centaines de kilomètres de plantations de palmiers, de jungle, de villages colorés et quelques villes bétonnées. Circulation dense de camions croisant en force sur une route principale aussi large qu’une desserte villageoise, minée de nids de poules. L’arrêt pour souper dans un relais du crû se fait attendre jusqu’à 23h00 et nous devons réveiller les enfants qui avaient déjà bien commencé leur nuit. Bon courage pour les rendormir après le nasi goreng…
L’arrivée en pays batak au petit matin apporte son lot de surprises : le climat est plus frais, car nous sommes autour de 1000 m d’altitude ; les brumes matinales qui se dissipent sur les rizières laissent apparaître d’innombrables clochers en lieu et place des minarets et des dômes de mosquées. La route qui descend de Siborong Borong sur le lac Toba, étincelant au soleil, traverse encore quelques petites villes où s’intercalent entre fers à béton et maisons de catelles des bâtiments typiques en bois aux façades richement décorées.
Ultime péripétie, trente kilomètres avant notre but, le bus dont nous sommes les derniers clients s’arrête en rase campagne : « transit » nous annonce-t-on. Nous avions pourtant pris un véhicule à destination de Prapat ! Ici, lorsqu’il n y a plus assez de clients, le bus ne va pas au bout de sa course. Nous allons devoir terminer dans un minibus à desserte locale complètement pourri. Lorsque le chauffeur baragouine à Frédo de faire le transfert des bagages, nous lui faisons bien comprendre qu’il rêve. Il se débrouille donc avec ses acolytes (il y a toujours 2 chauffeurs et deux aides par bus…) pour transporter tout le paquetage d’un toit à l’autre, sous haute surveillance. Ensuite ils nous monnayent comme de vulgaires marchandises avec le chauffeur du minibus pourri, à qui nous n’aurons – heureusement – rien de plus à payer. La fin du voyage est beaucoup plus folklorique, mais nous sommes vers midi à Prapat avec un Léon qui reprend enfin des couleurs. Aucune raison de rester dans cette ville et, après un petit dîner ravigotant, c’est reparti pour une tournée de ferry.
Débarqués à Tomok, nous reprenons nos vélos pour une ultime cavalcade et terminons au village de Tuk Tuk, presqu’île au bout d’une presqu’île au milieu du lac… fin de l’étape. Nous sommes heureux de dénicher une immense chambre avec vue sur le lac dans un guesthouse vide (les derniers clients occidentaux sont passés un mois avant et les Indonésiens ne viennent au compte gouttes que le week-end) où nous allons passer quelques jours.
On se plaît en terre batak
Danau Toba
Le lac Toba, « Danau Toba » en batak, occupe un gigantesque cratère de plus de 100 km de long sur ne cinquantaine de large formé par l’éruption d’un supervolcan il y a plus de 70’000 ans. Le plan d’eau lui-même se situe à 900 m d’altitude, a une surface un peu plus grande que celle du lac Léman et la majeure partie de son centre est occupée par la presqu’île de Samosir, résurgence du fond du cratère provoquée par la poussée du magma. Sur le flanc nord-ouest, le cône régulier d’un plus petit volcan, éteint lui aussi, est planté directement au bord du lac avec à son pied des sources d’eau chaude. L’une de ses coulées de lave a formé l’isthme de Pangururan qui relie la grande presqu’île de Samosir à la terre ferme. Tout autour, le bord du cratère constitue une barrière escarpée qui culmine environ 1000 mètres au-dessus du lac. Le mur est particulièrement impressionnant sur le côté occidental, avec une seule route praticable que nous avons choisi comme itinéraire pittoresque en fin de séjour pour quitter les lieux sur nos vélos.
Les Bataks
Isolés dans leurs montagnes et redoutables guerriers, les Bataks sont l’un des peuples des Indes Néerlandaises restés longtemps hors des sphères d’influence de l’Islam et des colonisateurs. En dépit d’une réputation de coupeurs de têtes et de cannibales, ils étaient détenteurs d’une civilisation originale au système judicaire sophistiqué et avaient créé leur propre alphabet. Convertis au protestantisme luthérien depuis 1864 par des missionnaires allemands emmenés par Ludwig Nommensen, ils ont depuis lors arrêté de manger leurs repris de justice et de démembrer leurs ennemis. Actuellement, on peut donc se balader chez les Bataks sans grands risques, les plus dangereux étant les chauffeurs de bus (comme partout en Asie… ).
On connaît la chanson
La musique occupe encore aujourd’hui une place à part chez les Bataks. Nous l’avons découvert sur le ferry qui nous a emmené de Prapat à Tomok : pour gagner quelques roupies, un groupe de garçons a chanté tout le trajet a capella avec une conviction et une ferveur que l’on retrouve par exemple dans les negro spirituals ou le blues des Afro-américains. Le soir les hommes se retrouvent sur les terrasses des bistrots et, tout en buvant leur alcool de palme, chantent en cœur ou à tour de rôle accompagnés d’une guitare. On retrouve un peu l’ambiance des veillées scoutes ou des soirées JP. Plus étonnant, au détour d’une balade dans le village de Tuk Tuk, un papy bonhomme et rondouillard sur sa moto s’adresse en chantant à une voisine qui lui répond de même… la version indonésienne des films aux dialogues chantés, transposée dans la vie réelle !
Art, culture et architecture
De leur culture plurimillénaire subsistent de nombreux domaines artistiques où les Bataks excellent, comme le tissage, l’artisanat du bois et des techniques de construction tout à fait étonnantes : leurs maisons en bois sur pilotis aux toits cambrés et aux façades obliques richement ornées sont immédiatement reconnaissables. Si les toits de tôle ondulée forment désormais l’essentiel des couvertures, on en trouve encore quelques-uns en chaume, roseaux ou en planchettes de bambous.
Le syncrétisme entre tradition batak et christianisme se traduit par des adaptations originales dans le domaine du sacré. Leurs églises à clocher pointu et haut perché, sont influencées directement par la forme de celles que l’on trouve chez nous, plus globalement au nord des Alpes et dans la région rhénane, à l’exception près que le fronton de leur porche reprend l’ornementation traditionnelle de la maison, avec des représentations en entrelacs encadrant un masque grimaçant à l’aspect démoniaque (ou du moins pas très catholique… vous suivez ?).
Autre exemple d’adaptation des rituels locaux : dans le domaine funéraire, très peu de cimetières fonctionnent à l’échelle communautaire ou villageoise. Généralement, on a affaire à un unique tombeau familial isolé, en bord de route, au milieu de la rizière ou le plus souvent directement à côté de la maison. Ces sortes de mausolées en catelles et béton portent une simple croix sur la face frontale et les caissons individuels s’ouvrent sur la face arrière. L’édifice est le plus souvent surmonté d’une représentation miniaturisée et joliment peinte de la maison traditionnelle, parfois d’une église et, pour les plus gros mausolées (ceux des familles les plus importantes ou les plus influentes, sans doute), des représentations d’ancêtres grandeur nature en costume d’apparat, en couple, parfois en armes. Et lorsque le mausolée familial est plein, on en construit un plus gros à côté…
Et nous pendant c’temps-là
Tombés sous le charme du lieu et contents de ne pas suinter pendant quelques jours, une de nos activités favorites est de dénicher de jolies pièces d’artisanat. Un peu déçus de ne pas avoir trouvé de souvenirs non périssables en Malaisie, nous nous lâchons et remplissons nos sacoches malgré les montées qui nous attendent… et il y a de quoi faire, moyennant que nous dépoussiérions un peu la couche supérieure des textiles ! La période faste du tourisme à Sumatra appartenant en effet au passé, les points d’intérêt touristiques et les échoppes environnantes semblent le plus souvent plongés dans une profonde léthargie. Dans le village de Tomok, connu pour les tombes d’un des derniers rois bataks, les échoppes s’étendent à perte de vue et attendent la visite du premier touriste de la journée (ou de la semaine). Passer là au milieu provoque une sorte de holà au sein de petites dames désœuvrées qui s’animent et font le marchandage toutes seules pour être sûres d’arriver à vendre l’une ou l’autre babiole. Si l’on fait abstraction des éternels T-shirts et porte-clés, l’artisanat local recèle de véritables trésors en matière de tissage, gravure et sculpture.
A Tuk Tuk même, nous rendons visite à un sculpteur sur bois, os et corne dont le magasin et l’atelier font également office de musée d’ethnographie, avec autant de vieilles reliques familiales que de productions de l’artisan. Nous lui commandons une plaquette en bois et il invite les enfants à venir dans son atelier le lendemain pour une initiation à la gravure. Après quelques coups de ciseau et maillet, les xylophones et les tamtams auront plus de succès auprès des artistes en herbe. Outre notre commande, nous repartirons avec un masque traditionnel, des pendentifs et le sentiment que si les œuvres avaient été moins volumineuses et plus légères, nous aurions sérieusement entamé ses réserves.
La deuxième activité favorite : manger des rösti ! Pour une fois dans la rubrique des spécialités « western » pour backpackers, les frites passent au second plan. Nous trouvons aussi du pain maison aux céréales et du bircher. Merveilleux ! Et surtout, nous savons qu’il faut vraiment en profiter, car notre prochaine traversée de dix jours sur Bukittinggi se fera dans la cambrousse indonésienne : riz et poulet à tous les repas !
Quand enfin nous nous décidons à bouger un peu de notre quartier, nous tombons sur le Maruba, petit restaurant aux spécialités bataks : poisson du lac grillé et légumes verts apprêtés avec des cacahuètes. Difficile de vous décrire exactement les goûts, mais nous, nous salivons encore rien que d’y penser !
La vie paisible à Toba nous a énormément plu, peu de touristes, des locaux adorables, un cadre magnifique, un lac propre et frais pour se baigner. Mais ce fichu temps qui passe nous a rappelé qu’il y avait encore de la route si nous voulions arriver à Bali début mai. Et quelle route…
Courage, en selle !
Le 20 mars, c’est le grand départ en direction de Bukittinggi où nous projetons d’être autour du 2 avril. Un peu anxieux de reprendre la route (comme au départ de Luang Prabang au Laos), nous nous répétons qu’en cas de difficultés, nous avons toujours trouvé une solution.
Cette devise s’est révélée exacte car nous sommes arrivés à destination le 30 mars, exténués, mais soulagés et fiers de nous. Le récit jour après jour dans le prochain article.
2 commentaires »
De Marraine Céline le 4 Avr 2013 | Répondre
Miam des röstis 😉
Bon, moi j’en ai marre de la fondue, j’me mangerais bien un peu de riz!
Ca a l’air vraiment d’être un chouette coin ce Lac Toba! Et toujours vos magnifiques photos… Celle des maisons typiques donne le tournis, on dirait une photo déformée!
Contente que les p’tits loups se soient mis à la sculpture sur bois sans doigt en moins (oui, j’peux causer question doigt en moins en Indonésie…).
Me réjouis de savoir la suite et vous envoie de groooos becs!
De Micheline Rusterholz le 4 Avr 2013 | Répondre
Ce jour, nous suivions le Toleure, puis l’Aubonne jusqu’à son embouchure avec Andrée et Jean-Daniel plus une floppée de jeudistes du CAS et ce soir je me plonge dans la lecture de vos récits de voyage. Quel contraste !!! Les malais et autres indonésiens trouveraient-ils ces paysages exotiques ? quand, en plus, ils sont balayé par une petite bise bien froide ? Pourquoi l’exotique est-il souvent associé aux cieux d’azur et à la tièdeur de l’air ? Vos photos sont magnifiques, j’ai aussi aimé nos sou-bois avec le bleu des scyllas, le jaune des primevères, le blanc des anémones et la subtile odeur de l’ail des ours. Merci pour ce moment de rêve passé avec vous.
Amicalement
Micheline