Aventures en famille

Au long du Mékong, ambiance «vieille-Indochine»

Écrit par Famille Carrard | 01/12/2012 – 13:08

Nous sommes résolument de retour sur le plancher des buffles pour un moment. En aval de Vientiane, la Vallée du Mékong s’élargit en un vaste bassin alluvial. Curieusement, la route nationale 13 que nous connaissons bien snobe cet axe naturel et s’obstine à cheminer dans les collines à des kilomètres du fleuve, que l’on n’aperçoit que rarement. Les crochets en direction du rivage desservent les trois capitales de provinces que sont Thakhek, Savannakhét et Pakxé.

La seule véritable montée de la vallée du Mékong après Vientiane a été avalée dans un bus qui doit avoir connu les heures les plus glorieuses de l’Indochine française… Soulagement donc d’être arrivés entiers à Thakhek, avec tout notre fourbi. Posés sur le toit sans porte-bagages, nos véhicules étaient tenus par des cordes depuis l’intérieur, via les bouches d’aération.

Du haut de ses 30’000 habitants, Thakhek semble plongée dans une profonde léthargie, avec ses rues en damier aux vieux bâtiments coloniaux décrépits.  Seul le quartier périphérique à l’est, dont les marchés et petits commerces sont tenus essentiellement par la communauté vietnamienne, est animé. La seule agitation provient d’ailleurs du bourdonnement des motos. La journée de pause nous permet de nous préparer aux futures étapes. Nos vélos sont équipés de chaînes neuves. Nous pouvons ainsi envisager sereinement les prochains 1000 km au Laos et au Cambodge.

Nous quittons Thakhek par une petite route secondaire longeant le Mékong au lieu de prendre la 13. Bien qu’indiquée sur notre carte comme « dirt road », surprise ! Elle est goudronnée et en excellent état sur 70 km. Nous terminerons tout de même l’étape sur un tronçon en chantier, du remblai non damé, avec à nos trousses divers engins, façon film d’action hollywoodien.

La nuit de camping à la ferme dans une famille très gentille aurait pu se transformer en vrai calvaire. Alors que nous sommes couchés, nous entendons motos et talkie-walkies dans la cour, puis on réveille le propriétaire qui doit s’expliquer de notre présence dans son jardin. Nous ne bougeons pas et finalement ne sommes pas inquiétés par la police.

A voir le sourire intact du propriétaire le lendemain matin, nous nous disons qu’il n’a finalement pas dû être trop embêté et prenons congé, non sans lui avoir glissé un petit billet dans la main pour le remercier de son accueil. Avec le recul, même si les forces de l’ordre avaient dû nous déloger, qu’auraient-elles fait de nous au milieu de la nuit en pleine cambrousse. Nous laisser aller camper à la sauvage hors des habitations avec les risques que ça peut comporter (mines etc…) ? Nous escorter jusqu’à Savannakhét (40 km) pour trouver un guesthouse ? Ils n’avaient rien d’autre à faire que de nous laisser là…

Le lendemain, étape courte mais suffisante jusqu’à Savannakhét, où nous arrivons pour dîner. Un jour et demi de pause nous permettent de nous imprégner un peu de cette ancienne ville coloniale, dont subsistent encore de nombreux bâtiments  et la belle église Sainte-Thérèse ; un peu plus grande et animée que Thakhek, Savannakhét possède un grand marché que nous arpentons en tous sens pour trouver l’habile savetier capable de remettre en état une paire de chaussures de vélo.

Nous emmenons nos enfants avides de savoir et de spectaculaire au Musée des Dinosaures fondé dans les années 30 par un savant français suite à la découverte d’ossements d’un grand herbivore. Légère déception pour nos loustics : point de T-Rex entier, mais quelques tibias et dents d’espèces diverses dans des vitrines qui n’ont pas été dépoussiérées depuis la fondation du musée. Mais le personnel et les scientifiques présents se sont fait un plaisir de nous faire visiter – en français –  le labo où sont restaurés les fragments et fabriqués les fac-similes.

A Savannakhét, nous avons fait la connaissance d’Andri, un sympathique et bonhomme cyclo Québécois pur sirop d’érable, que nous allons ensuite recroiser à plusieurs reprises sur la route. Au départ de la ville le 16 novembre, nous nous faisons aiguiller in extremis par un conducteur de tuk-tuk sur la route 13, alors que nous allions reprendre la route côtière. Coup de chance, car Andri nous confirmera plus tard l’état désastreux de la route, au point de devoir faire plusieurs kilomètres à pied et rebrousser chemin.

Pour nous autres, la route jusqu’à Pakxé aura le goût du parcours du combattant pour d’autres raisons : tour à tour, pendant deux jours, ce seront Frédo, puis Laure qui seront malades (voire en même temps…), situation d’autant plus pénible que la chaleur est étouffante ces jours et que le vent  – contraire – s’est levé pour l’occasion. En raison de la chaleur et avec un état de santé médiocre, on passera donc parfois plus de temps devant les épiceries en pause hamac que sur nos vélos.

Nous traversons de vastes étendues de campagnes  avec peu de reliefs. Le déboisement intensif au profit des rizières nous prive d’ombre le long des routes. Les rizières elles-mêmes n’étant plus toutes exploitées, certaines ressemblent davantage à de la savane qu’à des champs et laissent poindre le spectre de la désertification de certaines parties de la vallée du Mékong.

La seconde nuit, tout le monde étant de nouveau en état, nous nous offrons du camping au temple. Accueillis par un bonze très sympa qui s’occupe de ses trois petits novices, nous avons dépoussiéré un peu notre set cuisine pour nous faire des vraies pâtes de camping (qui collent aux dents et tout et tout…).

Le lendemain, c’est la grande étape en direction de Pakxé. Nous ne pensions pas y arriver ce jour, mais comme la motivation et la forme sont au rendez-vous, nous taillons la route, retrouvons notre ami Andri pour une pause.

Après avoir cherché en vain un logement, nous nous résignons à la nuit tombante à faire du stop et terminons la trajet en camionnette : dans la mesure où nous en étions déjà à 94 km de vélo (et accessoirement 5’000 depuis le départ de Pékin) et qu’il nous en restait encore 35, ce petit coup de pouce est bienvenu.

Pakxé est la seconde ville du Laos par sa taille et sent le fric à plein nez : ici c’est le défilé des gros 4×4 et des pickups, boulangeries à la française aux prix français (voire suisses). Située à la confluence du Sedone et du Mékong, la ville a connu un fort développement à l’époque coloniale et, à l’instar de Savannakhét et de Thakhek, comporte encore quelques quartiers à l’architecture caractéristique. C’est surtout le point de départ pour toute une série de destinations, notamment un site archéologique khmer majeur, le Vat Phou que nous n’aurons malheureusement pas le temps de visiter. Nous nous offrons une virée en tuk-tuk jusqu’au Plateau des Bolaven situé plus de 1000 m plus haut que Pakxé : un bol de fraîcheur bienvenu.

Une part importante de forêts tropicales subsiste sur ses marges et dans les vallées les plus encaissées qui en entaillent les abords. Sur le plateau lui-même, des milliers d’hectares sont plantés de caféiers et de théiers.

Nous assistons dans une petite entreprise familiale à toute la chaîne opératoire de la fabrication artisanale du café, du séchage au conditionnement sans oublier la dégustation ! Autres attractions d’un autre genre, les deux chutes d’eau de Tad Fane et de Tad Yeuang.

De Pakxé, deux nouvelles étapes de vélo, sous un soleil de plus en plus étouffant, nous mènent jusqu’à Siphandon (Les 4000 Iles). Après un nuit de camping dans une cour d’école, nous retombons sur Andri, puis un cycliste chinois.

Arrivée sur les rotules au rivage où les ferries menant dans les îles s’avèrent être de vulgaires pirogues à moteur. Nous parvenons néanmoins à faire tenir notre barda sur l’une d’elles et profitons du magnifique coucher de soleil sur les innombrables îles du Mékong.

Deux jours sur place nous offrent le loisir de découvrir les îles de Don Det et Don Khone, sur lesquelles subsistent les traces des tentatives malheureuses des Français pour valoriser le Mékong comme  voie fluviale.

Le grand saut du fleuve à cet endroit provoque un inextricable réseau de chutes et rapides au milieu duquel émergent des récifs : ceux-ci constituent d’ailleurs la majeure partie des « 4000 îles », les plus petites.

Afin de faire passer les bateaux de l’aval à l’amont du tronçon impraticable, une voie de chemin de fer, un pont et des aménagements de halage ont été installés par le colonisateur. De l’ancienne voie de chemin de fer ne subsiste que le ballast, recyclé en chemin carrossable.

Autres centres d’intérêt: les « Irrawaddy », une espèce de dauphins d’eau douce en danger d’extinction que l’on peut aller voir barboter en barque.  Nous avons donc revêtu nos combinaisons playmobil pour ce safari fluvial. Nous avons bien vu quelques dauphins (ou peut-être une quinzaine de fois le même…) sur la vingtaine recensés ; mais autant dire que pour arriver à en prendre une photo valable, il faut se lever de bonne heure…

Mais ce n’est pas tout ça, nos visas prolongés laotiens touchent à leur terme et le Cambodge nous attend.

Nous rejoignons donc la terre ferme au matin du 25 novembre, enfourchons nos montures et 20 kilomètres plus loin, arrivons à la frontière lao-cambodgienne, pour régler les indispensables formalités qui nous permettront de poursuivre notre périple le long du Mékong. Pas de difficultés ni de soucis particuliers pour ce passage, à part que c’est long : les douaniers posent pour la photo pendant que Laure remplit les formulaires et que Léon et Eugénie amusent la galerie en faisant les pitres sur les hamacs dévolus aux fonctionnaires des douanes. Comme prévu, nous sommes délestés d’un peu plus de dollars (25 $) que les prix officiels des visas (20 $, non affiché) sous de futiles prétextes (prise de température au service de quarantaine, p. ex.). A la sortie du Laos, une demi-heure auparavant, on nous avait demandé 2 $ par tampon « because it’s Sunday ».

Un peu d’appréhension tout de même en entrant au Cambodge, où les contrastes semblent encore plus marqués que dans les pays voisins. Des sourires lumineux des enfants en haillons jouant devant les misérables cabanes de bambous aux beaufs patibulaires en Lexus rutilantes, de l’ahurissant patrimoine Khmer aux cicatrices encore mal refermées d’un passé récent, sûr que l’atmosphère particulière de ce pays nous marquera au moins autant que le Laos qui nous a procuré tant d’émotions…


8 commentaires »

  1. De Rusterholz le 2 Déc 2012 | Répondre

    Bonjour les amis,
    Nous sommes dimanche le 2 décembre au matin et je suis probablement la première personne à lire la suite de vos aventures pedalo-asiatique. Ici, il neige… cette nouvelle n’est-elle pas rafraîchissante ? Nous avons des amis à dîner et je vais faire un papet vaudois avec une superbonne saucisse au chou…. cette nouvelle ne vous fait-elle pas saliver ?
    Je suis toujours soulagée quand je lis que les enfants vont bien. Un gros bisou à Andrée et Jesn-Daniel , sauf erreur, vous allez bientôt les rencntrer.
    Affectueusement
    Micheline

  2. De Sylvie le 3 Déc 2012 | Répondre

    Et voilà que Micheline m’ote les mots de ma souris et me pique même mon menu ! Suis toujours impatiente de vous lire et contente d’avoir de vos bonnes nouvelles.
    Becs à tous les Cas Rares

  3. De Marie Agnès Richard le 3 Déc 2012 | Répondre

    Nous ne nous connaissons pas mais je vous suis depuis le début…C’est extraordinaire ,ce que vous faites avec les enfants.Je suis moi même allée en Chine et au Vietnam…
    A bientôt
    Marie Agnès

  4. De Kathrin le 3 Déc 2012 | Répondre

    Chère Laure,
    Une pensée toute particulière à quelques heures (enfin chez vous c’est déjà le 4 décembre)de ton anniversaire. On pense bien à vous. Gros bisous de toute la famille
    Kathrin and co

  5. De Marraine Céline le 4 Déc 2012 | Répondre

    Joyeux anniversaire!!! 😀 Merci pour ces nouvelles! Vous avez toujours l’air en pleine forme sur les photos, même si le texte dit parfois le contraire. Ici on se les gèle, mais voilà, ça va avec l’ambiance de saison 😉 Eugénie, tu fais si bien la starlette, trop jolie! Et Léon, cette bouille photogénique, ça fait plaisir! Quant aux parents, je vous fais des gros becs, merci pour vos histoires passionnantes et les photos qui vont avec!

  6. De Nicole le 4 Déc 2012 | Répondre

    ben alors, je suis trop tard pour te souhaiter bon anniversaire? Nous buvons un verre de crémant blanc à ta santé. Nous avons fêté l’anniversaire de Roland de facon un peu décadente, une piscine ouverte et chauffée par 5°C… Eugénie a l’air d’une vraie petite dame!
    Bisous, Nicole

  7. De Nicole le 4 Déc 2012 | Répondre

    pour voir un beau musée de dinausaures, il vous faudra passer à l’occasion à Francfort. Laure, peut-être que nous y avions été avec toi? (senkenberg museum)

  8. De Maman le 6 Déc 2012 | Répondre

    Déjà la St-Nicolas! Ne sachant si tu as reçu mon sms via portable, je te re-souhaite – trop tard et n’y ayant pas pensé plus tôt – un Bon Anniversaire sino-viet-cambodgien via internet!
    Hier soir, nous avons parlé de vous, car Blaise nous a concocté une soupe chinoise. Les garçons ont décrété qu’elle devait contenir moins de nouilles et plus de légumes que les vôtres!
    Sinon, RAS, la vie suit son cours.
    Gros becs et salutations aux Carrard d’Aubonne

Ajouter un commentaire