Lao sur la montagne
Écrit par Famille Carrard | 28/10/2012 – 14:40L’était une belle forêt…
Au départ de Hanoi le 12 octobre, nous étions prêts pour foncer à l’ouest en direction du Laos, avec une dernière halte touristique vietnamienne à Mai Chau à mi-chemin. Nous avions fait réviser les vélos, retiré des dongs pour 4 jours, changé des kips pour 2-3 jours le temps de trouver un ATM de l’autre côté de la frontière et étudié la tracé sur google maps jusqu’à Mai Chau. Cette Mecque de l’écotourisme (selon Lonely Planet) nous paraissait être l’endroit idéal pour une pause entre Hanoi et le Laos, où recharger nos batteries, faire un état des lieux de nos finances pour bien budgéter les derniers jours au Vietnam et étudier plus en détail notre itinéraire montagnard jusqu’à Sam Neua au Laos. Etant habitués à nous approvisionner en fruits et autres casse-croutes en route, nous avions uniquement nos gourdes remplies et quelques combines à grignoter. Pourtant, un enchaînement de tuiles a passablement mis à mal notre bel optimisme. Avec le recul, nous ferons nôtre l’adage d’un célèbre moustachu : « Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts… ».
Notre parcours du combattant
Jour 1 : nous quittons Hanoi après avoir profité une dernière fois de notre stamm (une sympathique terrasse aux excellents cafés et jus d’oranges frais) en dégustant les pains au choc trouvés dans une boulangerie « à la française ». Nous nous amusons même à filmer les routes bondées de scooters. Mais la fête s’est terminée dès que nous avons pédalé en périphérie de la capitale : camions, poussière, klaxons… la rengaine habituelle que nous avions presque oubliée. L’achat de fruits s’avère aussi ardu car les prix prennent l’ascenseur à la vue de visages blancs. Dégoûtés, nous préférons nous priver de vitamines et attendre de trouver une honnête marchande (cela se produira seulement le deuxième jour). Le soir, bien qu’il n’y ait eu que du plat et que l’étape ait été d’une longueur très raisonnable, nous sentions déjà la fatigue. La nuit dans l’hôtel du bled avec karaoké nous a privés d’un repos réparateur.
Jour 2 : le terrain commence à être vallonné, rien d’alarmant pour nos mollets. Pourtant, Laure a le souffle court, la faute au smog, probablement. Les haltes sont rapprochées. Peu avant midi, un motard s’arrête. C’est Pedro, un Lausannois qui est parti de Suisse à moto et avec qui nous partageons avec plaisir le dîner à Hoa Binh. Après cette pause très appréciée de tous (entre Helvètes, on se comprend si bien !), nous nous retrouvons nez à nez avec notre premier reck et ce n’est que le début.
Jour 3 : nous nous échauffons sur des petits cols bien raides (mais pas trop longs heureusement), avant de passer littéralement par-dessus la montagne.
A l’arrivée, la récompense est néanmoins au rendez-vous, avec une large vallée de rizières truffée de buffles et de petits villages sur pilotis.
A Mai Chau, nous dormirons chez l’habitant dans une maison traditionnelle au sol de bambou « mou » en face d’une espèce de terrain vague. De jour, cela ressemble à un dépotoir où jouent les enfants et où pâturent les buffles. Ce que nous ne savions pas en choisissant notre logement si paisible, c’est que chaque samedi et dimanche, des étudiants de Hanoi se déplacent en masse pour y karaoker faux, y faire un feu de joie et y installer une disco mobile beuglante. Manque de bol, nous sommes dimanche… Nous préférerons donc garder le souvenir de l’excellent repas servi par nos hôtes plutôt que de notre soirée à haïr la jeunesse hanoïenne.
Jour 4 : nous apprenons une nouvelle peu réjouissante. Ni à Mai Chau ni dans aucune prochaine « ville » vietnamienne il n’y aurait de distributeurs d’argent. Notre itinéraire est donc résolument tourné vers le Laos que nous devons rejoindre au plus vite car le budget d’une journée devra nous en faire au minimum trois… Notre principal carburant de ces étapes de montagne sera composé de bananes et de riz. Vu les circonstances, c’est l’occasion pour nous de nous désintoxiquer un peu du café et de la bière. Faute de carte précise, nous nous sommes offerts le luxe d’un détour en montagne au lieu de suivre la rivière à la descente, ce qui aurait été un peu plus reposant… quand on aime l’effort, on ne compte pas. L’occasion rêvée de traverser l’une des plus belles régions de notre voyage : montagnes couvertes d’une végétation luxuriante, parfois entrecoupées de très belles rizières en terrasses, alors que de petits hameaux en bois aux toits de feuilles de palme s’égrènent le long de chemins de moins en moins goudronnés.
En faisant abstraction des motos, des antennes paraboliques sur les cahutes en bois et des portables, on a souvent le sentiment d’avoir fait un bond de plusieurs siècles en arrière. Durant la montée, dans l’impossibilité de nous ravitailler en eau et en nourriture, nous nous invitons tout d’abord dans une famille pour boire le thé, puis nous finirons les restes d’un repas (riz collant) dans l’épicerie voisine… A la guerre comme à la guerre ! La descente sur Ba Thuoc n’est pas plus reposante que la montée tant la route est défoncée…
Jour 5 : une fois notre dernier café viet avec triple dose de lait condensé siroté (fallait pas nous laisser la boîte sur la table !), nous attaquons la route 217 qui nous mènera à la frontière. Les montées et descentes se succèdent et les enfants marchent de plus en plus à côté des vélos lorsque la pente devient trop raide. A la nuit tombante, nous sommes bien décidés à planter la tente et demandons à des villageois la permission d’utiliser un bout de terrain. Nous sommes finalement invités à dormir et à manger dans une maison typique habitée par une charmante famille.
Nous avons ainsi partagé un peu du quotidien de ces montagnards. Côté confort, ils investissent davantage dans l’électronique de loisir que dans les sanitaires (ni toilettes, ni « durc » comme dirait Léon, ni trou tout court d’ailleurs !).
Jour 6 : Nuit difficile, réveil à l’aube. Nous paquetons rapidement de peur de déranger nos hôtes et trouvons une épicerie dans le village suivant pour notre petit-déjeuner. Eugénie a étrangement peu d’appétit et son état de santé se dégradera au cours de la journée. Vers 10h30, nous nous réfugions dans un boui-boui pour nous abriter d’une grosse averse. Nous repartons après avoir été littéralement mis à la porte par le patron (alors que nous étions en train de finir de manger !) pour faire place à la prochaine tablée. Dans les montées qui suivent, la route est rendue tellement glissante par la pluie que nous patinons dans la boue. Le moral faiblit à mesure que la fièvre d’Eugénie augmente, et c’est finalement avec soulagement que nous arrivons à Na Meo à la frontière du Laos. Dans cette ville moche et sans âme, le style monumental d’inspiration coloniale du seul hôtel paraît complètement décalé, au milieu de cahutes tenant à peine debout autoproclamées épiceries, où les camions laotiens viennent se remplir de produits alimentaires industriels.
Jour 7 : le passage de la frontière le 18 octobre au matin se fait sans problème ; il faut juste être patient comme partout en Asie, le temps que les formalités soient remplies et contrôlées 3 fois. Arrivés de l’autre côté avec notre solde de 19.000 dongs vietnamiens (env. 90 cts.) sans pique-nique pour midi, nous sommes néanmoins soulagés d’avoir tenu le budget fortement raccourci des 3 derniers jours. Reste le souci de notre petite malade avec ses pointes de fièvre à 40 degrés et ses vomissements, ainsi que de notre état de fatigue général au 7ème jour de vélo d’affilée.
Il fallait s’y attendre, en traversant du côté laotien, on ne va pas vers le plat. C’est toujours aussi joli, rizières, petits villages, sourires des gens et enfants qui courent à notre rencontre…
Et toujours aussi difficile de s’approvisionner. On s’improvise sur le bas côté de la route un frugal pique-nique de midi avec nos restes du Vietnam, c’est dire ! La pause est écourtée par une attaque de sangsue dont Frédo est victime. Rien de méchant, mais sur le moment, nous ne savions pas si ce genre d’animal était vecteur de maladie.
Pour compléter le tableau, nous expérimentons la route la plus pentue depuis le début du voyage. On peut avoir les meilleurs muscles du monde, quand les pneus patinent à la montée, il faut pousser le vélo. Le problème, c’est que les chaussures patinent aussi… nous avons néanmoins la chance de nous faire prendre en stop par un gentil monsieur dans une camionnette jusqu’à Vieng Xay, la prochaine localité d’importance, où nous pourrons nous offrir un jour de repos, qui permettra à Eugénie de reprendre du poil de la bête et d’être complètement rétablie le jour suivant comme si de rien n’était.
Fin du feuilleton !
Puis, jusqu’à Luang Prabang…
Vieng Xay est une sorte de non ville composée d’une série de hameaux et de maisons foraines disséminées autour de petits lacs-pêcheries perdus entre rizières et pics rocheux. Entourée de grottes transformées en bunkers dans les années 60, la localité revendique haut et fort son statut de centre de la résistance du Pathet Lao contre les frappes massives de l’aviation américaine pendant la « guerre secrète ». Par hasard, nous nous retrouvons là au premier jour du Bun Nam, la fête des courses de bateaux qui a lieu chaque année dans tout le Laos à la fin de la mousson. L’occasion pour les locaux d’écluser bière, alcool de riz et de sortir du placard la fine fleur des karaokistes. Ambiance bon enfant et colorée, où la compétition officielle d’aviron est malheureusement concurrencée par celle, plus inofficielle, du jeter de canettes dans le lac.
Notre pause est de courte durée : pour cause d’ATM en panne et cartivore (heureusement qu’un employé de la banque était là pour libérer directement la maestro…), nous nous voyons forcés de poursuivre rapidement jusqu’à Sam Neua.
Au terme d’une courte étape qui nous permet de mettre en doute les indications de pourcentage de pente indiqués sur les panneaux, et à Frédo de casser la chaîne de son vélo, nous nous retrouvons dans la capitale du Houaphan, une métropole de jungle dont on se demande bien où elle loge ses 40’000 habitants.
Deux jours de vrai repos plus tard – il n’y a vraiment rien à faire à Sam Neua, à part se balader dans les quartiers populaires et au marché – nous avons étudié l’itinéraire en direction de Luang Prabang, à 450 km. Il faut se rendre à l’évidence : si nous voulons avoir le loisir de nous servir encore de nos mollets pour continuer notre périple, mieux vaut les économiser un peu. Nous prenons donc le bus jusqu’à la perle du Mékong, où nous arriverons frais comme des gardons à minuit, après 16 heures de trajet, deux vomis, quelques milliers de virages et un bon kilo et demi de bananes ingurgitées. Un trajet mémorable, dans des paysages à couper le souffle, habités par des tigres, une multitude d’ethnies aux noms les plus exotiques et quelques milliers de tonnes de vieux obus US non explosés.
Arrivée à Luang Prabang, où nous allons passer quelques jours, en pleine nuit à essayer de trouver un logement. Là une nouvelle épreuve nous attend : résister aux multiples tentations qui s’offrent à nous, si nous voulons conserver les moyens de voyager jusqu’à juillet 2013. Et ça va être dur ! Des soieries aux pains au choc, en passant par les terrasses sur le Mékong, tous les ingrédients sont réunis pour ne pas tenir un budget…
8 commentaires »
De Maman le 29 Oct 2012 | Répondre
Avant de partir qq jours à Naples, lu vos dernières péripéties : ce n’était pas une sinécure, heureusement que vous décrivez de temps à autre un beau paysage ou qq chose de bon à manger! Décidément, tjs pas pour moi. Gros becs aux petits et aux grands. Maman
De Marraine Céline le 31 Oct 2012 | Répondre
Meuh… Je réessaie de mettre un commentaire après mes précédents essais infructueux! Je disais donc: quelle aventure épique! Et quel courage face à l’adversité et aux pains au choc. Moi j’aurais déjà fait péter le budget 😉 Vous êtes très forts les loulous! J’espère que vous avez toujours un max de plaisir entre deux épreuves difficiles! Des gros becs!
De Les Pheng Massa le 31 Oct 2012 | Répondre
Sabaidi
Un petit bonjour des Frenchys rencontres a Tat Kuang Si et dont le choc a ete rude pour Leon .. Comment va le bobo – je ne reussis pas a trouver le point d interrogation sur ce clavier ni les accents d ailleurs ..-
Bien arrives a Vientiane pour nous ou il fait bien chaud par rapport a Luang Prabang et ou les bords du Mekong n ont pas le meme charme .. On a pense a vous sur la route pour y arriver des que cela montait …
Pedalez bien et a bientot ..
Flo Visith Litasai Keo et Nivanh
De Tonton Pierre le 4 Nov 2012 | Répondre
Hello la petite famille!
Que de courage, de ténacité, de soif d’aventure! Parce que çà c’est l’aventure avec un grand A…pas de faux semblant…La réalité est telle qu’elle se présente à vous, à la fois enchanteresse de par les paysages, les rencontres…mais aussi pleine de rebondissements et de difficultés à affronter…pas de possibilité de se défiler…Une belle leçon de courage
Les enfants ont l’air heureux et épanouis…vous…vous pourriez faire une pub pour « comment devenir musclé en quelques mois!!! »
Pierre et Maryse vous souhaitent une bonne continuation…et nous nous réjouissons de poursuivre le feuilleton de Velhorizons…Tonton Pierre vous fait plein de bisous et de ma part toutes mes amitiés!
P
De Pedro le 5 Nov 2012 | Répondre
Coucou les voyageurs
On dirait que vous avez souffert un peu apres notre rencontre !
J espere que tout va bien que vous continuez votre chemin sans problemes.
De mon cote toujours au Vietnam et tout va bien, suis en train de m offrir deux jours de farniente sur une plage et enfin pris un peu de temps pour suivre vos peripecies.
Continuez a profiter et a bientot
Pedro
De Cuisine Tom Pouce le 5 Nov 2012 | Répondre
Salut les aventuriers !!
Ce qui fait plaisir de vous lire, c’est de voir a quel point vous avez l’air heureux, malgré les « desagrements » du quotidien…
Votre periple a vraiment l’air super chouette, profitez bien et a plus !
Le staff de la cuisine…
De Cornette le 8 Nov 2012 | Répondre
Lao sur la montagne !! trop la classe, j’adore, même à l’autre bout du monde vous êtes les mêmes ! Un grand merci pour votre belle carte postale…fait plaisir !!
Ouille, ouille, heureusement que Eugénie s’est vite remise… quel coup de stress vous avez du avoir !!!
Dis donc, vous avez chopé des sacrés muscles déjà l’équipe Carrard!! Laure, sur la photo où tu marches à côté de ton vélo (hahhaa, l’autre trankilou sur son scoot’) t’as le muscle de la cuisse comme un cycliste du tour de France.. (ahahah, et j’en sais qqch mais pchut :-))
En tout cas s’est un régal de vous lire, meme si vous avez parfois l’air d’être en galère !!! que j’admire votre facon d’écrire et de nous faire voyager !!
Vous arrivez à écrire plus que nous nous avons le temps de lire….. 🙂
Fin aout, nous avons lu plusieurs de vos étapes d’un coup en rentrant des Grisons…. j’ai fait la lecture à mon pilote Gigi… (bien 1h, voir 1h30 de lecture à voix haute)… Pas pu répondre, sinon moi aussi j’aurai fini par faire des petits vomis…..
Allez, je file lire vos autres étapes….
Courage les loulous…. vous cartonner !!! bisous à vous 4
De Cornette le 8 Nov 2012 | Répondre
ehhhh les loulous, juste pour info : j’ai posté le lien de votre site sur mon Facebook !! Vous gagné à être connu !!! Va savoir…. peut-être que vous pourrez bientôt manger des pains au choc’ à volonté 🙂
allez, moi je file aux plumes… Smouuuuuuuuuutch !